Métiers créatifs : comment survivre à la révolution IA
L'intelligence artificielle menace-t-elle les métiers créatifs ou les réinvente-t-elle ? Dans cet épisode, Nathalie Dupuy, directrice artistique et exploratrice de l'IA, partage son expérience et son regard critique sur l'impact de l'IA dans la création. Vous découvrirez comment l’IA transforme les processus artistiques, entre promesses d’innovation et risques de standardisation. Nathalie aborde également les défis auxquels font face les créatifs aujourd’hui et l’importance de préserver une expertise humaine face aux illusions technologiques. Un échange riche en perspectives pour mieux comprendre l’avenir des métiers de la création.
Nathalie Dupuy est une directrice artistique et exploratrice IA (intelligence artificielle) basée à Lyon. Free-lance depuis plus de vingt ans, sa carrière a pris un tournant significatif lorsqu'elle a commencé à expérimenter l'IA, ce qui l'a propulsée sur le devant de la scène. Elle a été désignée personnalité de l'année lors de la cérémonie des OURS de la com 2024 pour ses contributions dans ce domaine.Nathalie Dupuy est reconnue pour ses conférences et formations sur l'IA, notamment sur l'impact de l'IA générative dans les métiers de la communication. Elle a également exprimé des réflexions critiques sur les limites et les dangers potentiels de l'IA, soulignant l'importance de l'expertise humaine pour vérifier et corriger les résultats générés par les machines. Sa démarche innovante et son engagement dans l'exploration de l'IA continuent d'influencer le secteur de la communication visuelle.
Nathalie Dupuy
Directrice artistique, formatrice et conférencière
Julien Redelsperger : « Et pour cela, j'ai le plaisir d'être accompagné par Nathalie Dupuy, qui est directrice artistique, formatrice, conférencière et exploratrice de l'intelligence artificielle dans le milieu de la création. Aujourd'hui, nous allons donc parler de création, d'image, d'art et de communication. Bonjour Nathalie, merci de participer à cet épisode d'AI Experience. Comment vas-tu ? »
Nathalie Dupuy : « Bien, merci. Je suis enchantée d'être là avec toi aujourd'hui. »
Julien Redelsperger : « Je suis très heureux de t'accueillir. Alors, on va commencer par une question un peu large, Nathalie. Toi qui es un peu la spécialiste de l'IA et de la création. De ton point de vue, comment va le milieu de la création aujourd'hui à l'ère d'une IA qui finalement ne cesse de faire parler d'elle? Est-ce que les créateurs sont en forme et est-ce qu'ils vont bien? »
Nathalie Dupuy : « Les créateurs sont en forme. La plupart des créateurs sont en forme. Ils vont bien, même s'ils sont pas mal challengés, s'ils se posent pas mal de questions quand même et en profondeur. L'IA transforme un peu leur processus de création, leur workflow, voire même la production de ce qu'ils ont l'habitude de faire. Donc, ils sont en train de vivre une assez grande transformation, voire une révolution. Qui se fait parfois dans la douleur ou qui est totalement assumée ? »
Julien Redelsperger : « Toi qui es au contact un peu avec des créateurs, des graphistes, des illustrateurs et autres. Comment ont-ils vécu à la fois l'arrivée de l'IA générative et puis sa généralisation? »
Nathalie Dupuy : « Il y a réellement tous les cas de figure. Il y a une population qui peut être hyper perturbée, inquiète, peur d'être remplacée ou d'être trop challengée. Il y a même des personnes qui n'ont encore jamais ouvert une IA, y compris en agence. C'est assez dingue, mais c'est la réalité du terrain. Il y a des techno-enthousiastes, il y a des pro-IA, des super-contre. C'est vraiment hyper variable. L'appréhension de la technologie est en fonction de, j'imagine, la façon dont on se sent aussi dans son métier à l'instant T. Ça peut être assez perturbant pour certaines personnes qui sont plus en questionnement. En fait, c'est assez variable. L'appropriation d'outils est assez variable et encore très inégale. Ce n'est pas du tout généralisé, que ce soit au niveau perso comme au niveau pro. Ça, c'est une réalité terrain. Et cette espèce de révolution, ce côté extrêmement puissant, peut être hyper flippante. »
Julien Redelsperger : « Quand je parlais à des précédents invités, ils me disent finalement que l'IA aujourd'hui, c'est un peu comme ce qui s'est passé dans le monde du graphisme, Photoshop, Illustrator, il y a 20 ans ou 25 ans. On est passé du dessin quasiment à la main au dessin par ordinateur. Et là, aujourd'hui, on va encore plus loin avec l'IA. Est-ce que toi, c'est un peu ton raisonnement, tu perçois un peu cette évolution technologique qui va en s'accélérant? »
Nathalie Dupuy : « Ça, c'était mon avis il y a un an. J'imaginais l'IA à peu près comme l'arrivée d'Internet, qui a profondément bouleversé les usages, qui a fait extrêmement peur, à raison et à tort, etc. L'arrivée de l'appareil photo, l'arrivée du no code, l'arrivée de Photoshop, de la fameuse suite hyper accessible, etc. En 10 ans, j'avais l'habitude de dire oui, effectivement. Lorsque le no code est arrivé, les clients voulaient faire leur site Internet tout seul, ils sont revenus vers nous parce que ce n'était pas responsable et pas référençable. L'arrivée de la suite Adobe, c'est la même chose. Les clients se sont mis à faire leur plaquette inimprimable, leur logo tout pourri, puis ils sont revenus. L'arrivée de l'IA, c'est un peu plus profond que cela parce qu'en fait, ça donne une illusion de ces possibles. Alors que Photoshop, si on ne savait pas faire un logo, on ne savait pas le faire. Si on ne savait pas faire un site, on ne savait pas le faire non plus. Si le site était bancal, l'IA donne cette illusion-là. Et ça, c'est un point qui est un peu capital selon moi parce qu'il y a une grande frange de la population qui pense être capable de monter une image, tout ça, parce qu'en fait, à la fin, ils font une image. Ça ne veut pas dire que c'est une image aboutie, que c'est une image construite, qu'ils ont tout le référentiel pour le faire. Cette illusion-là, de la même manière que 4G PT, donne l'illusion de très bien parler, savoir avoir un format de texte un peu en poulet, un peu... Mais est-ce que le fond est là ? Est-ce que la plume est là? C'est un peu ça qui est un sujet aujourd'hui quand même. »
Julien Redelsperger : « D'accord. Et alors aujourd'hui, si on élargit un peu le sujet de ton point de vue, qu'est-ce qu'on peut faire avec des outils d'IA dans le milieu de la conception et de la création artistique? Et à la limite, je te dirais, qu'est-ce qu'on peut faire et qu'est-ce qu'on peut ne pas faire encore aujourd'hui, en 2024? »
Nathalie Dupuy : « Alors, on peut tout faire. On a une IA pour nous accompagner à chaque étape. On peut écrire un scénario avec une IA, on peut faire un storyboard, monter, créer les plans, faire des images, animer les plans, faire la synchro labiale, faire le son, faire les voix, faire les images. On peut tout faire. Maintenant, est-ce que l'idée, c'est de tout faire de façon basique? Qu'est-ce que je veux dire par là? Moi, je ne suis pas réalisatrice. Si je fais une vidéo, je fais une vidéo un peu bien, mais je ne sais pas faire les plans, je ne sais pas les enchaîner, je ne sais pas faire de montage, je ne connais pas le rythme, je ne connais rien. Ce qui fait que j'ai l'illusion de faire, mais en fait, je fais un peu du bidon. Aujourd'hui, on peut tout faire de façon, encore une fois, assez illusoire. Si tu n'es pas bon dans ta technologie, si tu n'es pas expert dans quelque chose, c'est encore assez basique, assez cheap ton résultat. Et c'est là où on a un vrai sujet, de nouveau, c'est qu'on a une quantité d'images, de vidéos un peu bullshit en fait, de choses que tout le monde fait, tout le monde s'amuse un peu dessus. Et de nouveau, ça fait deux ans que les IA sont sortis, un peu plus de deux ans, vraiment, que les gens se sont vraiment emparés du sujet. Je trouve que là, on est arrivé à une telle facilité technique que les métiers reviennent dans le game. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, on a tellement d'IA qui peuvent faire tellement de choses, on a 50 IA pour créer du visuel, on a 70 IA pour créer de la vidéo. On a une quantité astronomique d'outils à chaque étape. De nouveau, aujourd'hui, je trouve que ton métier de base d'expertise, que ce soit la réalisation, la direction artistique, le graphisme, je ne sais quoi, revient dans le game. C'est-à-dire que maintenant, les personnes qui sont vraiment pertinentes graphiquement, vraiment pertinentes en termes d'images, en termes de positionnement, ce sont les personnes qui ont ce bagage-là, qui savent parler à une IA, qui connaissent comment composer une image au niveau stylistique, artistique, au niveau de la composition, les pleins, les vides, la composition picturale, j'ai envie de dire, qui se démarquent. Car là, effectivement, l'IA peut décupler la créativité. Mais toute la population qui se contente d'un résultat un peu random, un peu aléatoire de l'IA qui te permet effectivement de produire une image très rapidement, ça pour moi, c'est beaucoup moins intéressant. Pour moi, c'est de la soupe visuelle. »
Julien Redelsperger : « Est-ce que tu n'as pas un peu l'impression parfois que l'IA tire un peu le niveau vers le bas et le problème, c'est que le grand public risque de s'habituer à ces images produites avec l'IA? Je te donne un exemple concret sur les réseaux sociaux, notamment sur LinkedIn ou autres, mais tu as des illustrations aujourd'hui qui sont clairement faites avec du ChatGPT ou du Midjourney, ça se voit à 20 kilomètres. Mais à force de les voir, l'œil s'habitue, nos attentes décroissent et finalement, ça devient normal. »
Nathalie Dupuy : « Ça, c'est ce dont je parle et ce que je dénonce un peu depuis le départ. Ça, c'est un vrai sujet. C'est-à-dire que oui, cette soupe visuelle dont je parle, c'est j'ai besoin de faire un post. Et finalement, on essayait de faire un post un peu malin avec une accroche, avec des textes. Maintenant, il n'y a plus un seul post qui existe sans illustration, sauf que c'est d'illustration bas de gamme. C'est ce que j'appelle soupe visuelle. Et effectivement, je pense que l'œil s'habitue à ce rendu de mauvaise qualité. C'est-à-dire qu'on est un peu submergé par toutes ces images. Chaque fois que je sors un magazine, on dit "waouh, mais la qualité des images!". Oui, mais en fait, il y a des experts en photo derrière, des directeurs de création qui tiennent la route, des directeurs artistiques qui déchirent. Et oui, quand un créa pur et dur s'empare de la techno, c'est autre chose. »
Julien Redelsperger : « Justement, parlons-en de ce magazine. C'est un magazine que tu as sorti et qui est fait entièrement à base d'intelligence artificielle. Tu peux nous en dire un peu plus? »
Nathalie Dupuy : « Au départ, c'est une expérience. Le premier magazine dont les contenus étaient intégralement générés par IA, le tout premier magazine qui s'appelait YEL, c'était une blague sur les réseaux sociaux au tout départ. Et ça, c'était vraiment une expérience. C'est-à-dire que j'ai fait un prompt qui a généré un article que j'ai mis en page telle qu'elle, un prompt qui a généré une image que j'ai mis en page telle qu'elle également. Donc, il y avait trop de doigts, trop de dents, pas assez, peu importe. C'était vraiment pour l'expérience. J'ai monté 68 pages en quatre langues pour poser la question de l'impact de l'intelligence artificielle sur nos métiers. Nous, justement, directeur artistique, graphiste, journaliste, traducteur, concepteur, rédacteur, photographe, illustrateur, enfin vraiment les personnes avec qui je bosse depuis 20 ans. Et cette expérience a été extrêmement relayée dans les médias. Et ce magazine a été monté en quatre langues. J'ai mis trois heures pour générer les textes et trois heures et demie pour générer les images dans 68 pages. Et ensuite, je l'ai mis en page classiquement parce que toujours à date, il n'y a aucune IA qui essaie de mettre en page un magazine. Ce magazine est consultable sur mes réseaux. Il est gratuit. C'est une expérience. Je défie quiconque de le lire jusqu'au bout tellement il est casse-pieds. En tous les cas, on peut vraiment aller sur du où est Charlie par rapport au visuel parce que vraiment, il y a des pépites. Mais moi, c'était l'expérience. C'était de savoir en juillet 2023 ce que la machine avait dans le ventre. Donc, c'était ChatGPT et Midjourney. Aujourd'hui, mon magazine est devenu IALS. Maintenant, c'est un média relativement classique qui traite de l'IA gène, qui questionne l'IA gène. C'est plus ou moins trimestriel quand je ne suis pas trop à la bourre et qui questionne le sujet, qui questionne l'humain, la manière dont l'humain s'en empare, la manière dont les humains l'intègrent dans leur process de travail, process créatif, donc au niveau de la musique, dans le secteur du luxe, dans le secteur. Ça aborde des sujets, l'IA influence aussi, des sujets un peu plus profonds sur la démarche humaine derrière l'IA. »
Julien Redelsperger : « Moi, c'est un peu ça qui m'intéresse. Et aujourd'hui, est-ce que ce magazine est toujours généré à 100% à base d'intelligence artificielle ? »
Nathalie Dupuy : « Alors, il traite de l'intelligence artificielle. On a toujours quasiment chaque visuel est généré par l'IA parce qu'on traite du sujet, donc on l'illustre avec des images en IA, bien sûr. En revanche, le deal, c'est que si quelqu'un répond à l'aide d'IA, elle doit le dire. En fait, il y a des personnes qui, pour répondre à des articles ou quand tu poses des questions à des pros ou je ne sais quoi, te répondent avec ChatGPT. Et en fait, parfois, ça se voit en fait et ça se sent. Donc le deal, c'est attends, soyons honnêtes, si la réponse est aidée, on va dire, augmentée par IA, il faut lui dire, il faut être honnête. Voilà, c'est la seule chose que je demande. Et j'ai mis un système de picto pour montrer et ne pas tromper le lecteur. C'est-à-dire, il y a un petit cerveau quand c'est un cerveau humain et puis un petit picto d'intelligence artificielle pour montrer ce que le lecteur lit. Par exemple, sur le tout premier numéro de Yal, j'ai interviewé une influenceuse IA, une personne qui n'existe pas, une influenceuse qui s'appelle Anne Kerdi, c'est une influenceuse bretonne. Et derrière cette influenceuse, c'est Sébastien, 39 ans, finistérien. Pour cette interview, c'était mon GPT, le GPT de mon magazine, qui interviewait le GPT de Anne Kerdi. Bon, pendant quatre pages, c'est du robot qui parle. Donc, on peut le lire pour l'expérience, mais si on n'a pas envie, ce que je peux comprendre, je l'indique. »
Julien Redelsperger : « D'accord. OK, intéressant. Et tu soulèves des points hyper intéressants dans tout ce qui est création assistée par IA, notamment, mais des images qu'on voit de plus en plus. Ça fait des mois, si ce n'est pas un an ou deux, que Meta ou Google disent qu'il faut qu'on trouve des moyens pour flaguer les images qui sont construites à base d'intelligence artificielle, notamment sur les réseaux sociaux, pour éviter la mésinformation, les fake news, etc. Ça a l'air d'être très compliqué. En tout cas, il y a beaucoup de retard dans ce domaine. Quelle est ta vision de ce sujet, des images et des contenus générés par IA, sans que ce soit forcément indiqué clairement ? »
Nathalie Dupuy : « Pour moi, c'est un des sujets principaux aussi. C'est un sujet carrément capital. Alors, ce sujet-là, en France, la législation européenne, l'IA Act, n'impose pas encore, ne le contraint pas, mais conseille fortement d'indiquer qu'on sait de l'IA. Il va y avoir un moment où on sera obligé de le faire. Moi, ça me semble essentiel. Ça me semble essentiel. Les coms que j'ai déjà faits, c'est transparence absolue. On indique sur Photoshop quand les photos sont retouchées, quand elles ne le sont pas. Si on utilise tel un outil et qu'on a posé le cadre juridique dans sa société juridique, légal, etc. pour l'utiliser, on peut l'utiliser, selon moi, en toute transparence. Il n'y a pas de sujet. Mais par contre, il faut l'indiquer, c'est essentiel. »
Julien Redelsperger : « Aujourd'hui, on est obligé d'indiquer quand on fait un deepfake. Il y a des deepfakes qui sont faciles à vérifier, mais aujourd'hui, en conférence, je montre que c'est de plus en plus compliqué de voir que c'est de l'IA. Je montre à des créateurs, honnêtement, personne n'imagine que ce sont des visuels en IA. Il y a certains points. Pour ça, évidemment, il existe des IA qui détectent les IA. On est sur une espèce de course à l'échalote. L'IA avance, la techno avance au niveau de l'IA, la techno pour montrer que c'est de l'IA avance aussi, etc. Il y en a plein qui existent. C'est un vrai enjeu, et c'est un vrai enjeu colossal. Il y a une techno en France qui s'appelle UncovAI, qui est une techno qui ne fonctionne pas de la même manière qu'une IA, c'est une techno probabiliste. C'est un peu différent. C'est vrai que c'est une techno qui est intéressante. Ça, c'est un vrai enjeu. Moi, mon positionnement, c'est d'évidemment le dire qu'en méta, indique qu'effectivement, les images sont probablement générées par IA C'est aussi parce qu'eux sont clairement en train d'entraîner leur propre IA. Donc, on est sur un positionnement qui n'est pas aussi clair forcément que ça. C'est-à-dire que pour l'instant, on t'indique que de toute façon, le contenu que tu as mis sur méta en public entraînera aussi les IA de méta. »
Julien Redelsperger : « Est-ce qu'il n'y a pas aussi à un moment donné une zone grise? On parle de Photoshop qui a lui-même des outils d'IA à l'intérieur, leur fonctionnalité qui s'appelle Firefly, si je ne dis pas de bêtises. »
Nathalie Dupuy : « Absolument. »
Julien Redelsperger : « Donc, si tu fais une photo originale dans Photoshop, mais tu utilises Firefly pour l'augmenter, la modifier, voire supprimer des éléments. Je rebondis aussi sur Apple Intelligence, qui va utiliser des outils pour supprimer des morceaux des photos. Google a fait la même chose, etc. Où commence l'IA? Où s'arrête l'IA? Et finalement, est-ce qu'on est très loin des sujets du type MidJourney ou ChatGPT en termes de création? »
Nathalie Dupuy : « Il y a plein de questions dans ta question. Je vais essayer d'être claire. Les sujets tels que les IA entraînées type Mid-Journey, le débat est un peu différent que Ad hoc, par exemple, car Mid-Journey a entraîné son IA sur toutes les données web publiques, sur des millions d'images, sans autorisation, sans se poser de questions. Aujourd'hui, ça a questionné pas mal. La presse en a parlé beaucoup. Aujourd'hui, je me suis rapprochée dans toute l'expérience auprès de conseils et d'avocats un peu spécialisés en IA. Enfin, pas un peu, complètement spécialisés en IA. Aujourd'hui, la réponse est que les données d'entraînement, honnêtement, maintenant, c'est un non-sujet. Donc, à deux ans, on est déjà sur l'affaire est classée, c'est un non-sujet, parce que de toute manière, on n'aura aucune vision sur cette opacité-là. C'est fait. Maintenant, il faut partir du principe que c'est comme ça un peu. Les gars, on ne vous a pas payé, on ne vous a pas payé, c'est comme ça. Pour Mid-Journey, un Firefly, c'est un peu différent parce qu'eux ont entraîné globalement, je dis globalement parce qu'ils ont ouvert à 15-20% le champ sur les données web aussi, mais globalement, ils ont au départ entraîné leur IA, Adobe, sur leurs propres images, c'est-à-dire les images sur lesquelles ils avaient les droits d'Adobe Stock. Or, comme ça tournait un peu en rond, cette histoire, ils ont été un peu, à un moment donné, obligés d'ouvrir aussi l'entraînement sur les données web, parce que sinon, les générations étaient un peu trop pourries en fait, en vrai. Mais c'est un peu différent parce qu'en fait, il y a quand même une conscience au départ des droits d'auteur. Ils avaient quand même payé les droits d'auteur aux personnes dont ils utilisaient les visuels. C'est quand même un point un peu essentiel. »
Julien Redelsperger : « Après, concernant la retouche dont tu parles, c'est-à-dire enlever quelques petits éléments, etc., ça, ça fait partie d'une retouche d'image, IA ou pas en fait. Le cadre légal d'une image reste le même, encore une fois, IA ou pas. Qu'on soit sur de la copie, du parasitisme, du plagiat, ça reste la même chose. Alors, c'est bien de challenger ça aussi, mais ça reste la même chose, ce qui fait que, objectivement, qu'on utilise l'IA pour enlever un vélo sur une route parce que l'image ne nous convient pas, c'est quelque chose qu'on peut faire nous-mêmes à la retouche sans aucun problème. Et si ce n'est pas 90% de l'image, ce n'est pas vraiment un sujet à cet endroit-là. Le sujet serait plutôt sur des générations un peu plus complètes. Tout ce qui est IA/retouche type Adobe Firefly, ce n'est pas trop le sujet d'un point de vue légal en tous les cas. »
Julien Redelsperger : « D'accord. Toi, au quotidien, en tant que directrice artistique créative, quels sont les outils ? Est-ce que tu utilises des outils à base d'IA? Lesquels? Et pour quel usage? »
Nathalie Dupuy : « Alors, j'en utilise plein. Déjà parce que je suis devenue formatrice aussi. Ça a un peu fait switcher mon métier. Là, actuellement, je remplis plus mes semaines par des formations que par mon métier d'avant. Donc là, il y a un vrai changement de cap par rapport à ça. Mais oui, je les utilise de toute façon pour mes campagnes. Je les utilise beaucoup dans le processus créatif. Je les utilise au final pas encore beaucoup sur un livrable, sur une image en finalité, aussi bien parfois par rapport au cadre juridique que ça nécessite, quand les personnes veulent du photoréalisme. Tout ça, c'est quand même assez touchy encore au niveau légal. Surtout quand les personnes ne veulent pas de zone grise dont tu parles. Ça, pour l'instant, l'IA, c'est que de la zone grise. Donc prenons des photographes et des modèles dans ce cas-là et puis faisons les photos comme à l'ancienne. En revanche, sur le ping-pong créatif, oui, j'utilise mes journées sur le ping-pong créatif. J'utilise des technos françaises type Syllab, Pimento, un peu Sésame pour travailler aussi en termes de ping-pong créatif. J'utilise Cria, j'utilise Hideogram. Enfin, chaque IA a quelque chose. Donc je sais que si je veux faire tel type d'image, j'irai plus sur Hideogram. Si je veux faire tel type d'image, j'irai sur Musavir. Et en fait, c'est ça qui est assez dingue, c'est que chaque IA a un usage et est forte à un endroit, plus ou moins. Puis après, évidemment, il y a un mix d'IA. C'est-à-dire que si je veux ça et ça et ça, je vais générer plein d'images et les mixer. C'est assez dingue. On va dire que j'ai entre 12 et 15 IA différentes. Mais je ne fais pas de vidéo. »
Julien Redelsperger : « Et je ne sais pas comment tu appréhendes les choses, mais ça va tellement vite. Il y a des nouvelles actus quasiment toutes les semaines. Et par contre, on peut avoir un peu ce symptôme du FOMO, le Fear of Missing Out, la peur de passer à côté de quelque chose. Comment est-ce que tu fais, toi, pour gérer, pour suivre un peu les nouvelles, les actus, faire ta veille technologique ? Et en même temps, ne pas te sentir submergée par toutes ces actus… »
Nathalie Dupuy : « Alors déjà, ce sentiment-là, il y a plusieurs points là-dessus. Et c'est probablement ce qui explique mon point de vue là-dessus. J'ai été extrêmement médiatisée avec cette histoire d'expérience, etc. Ça, c'est un point qui est un vrai point en soi. Je suis contente de ne pas avoir 20 ans, d'être structurée, d'avoir des enfants, ma vie, ma vie d'avant, etc. Parce que rien que ça, c'est assez étonnant comme expérience. Mais du coup, cette expérience d'ultra médiatisation sur un temps très court, en moins d'un an, énormément de presse, de podcasts, d'émissions, de machins, ça a été complètement dingue, m'a fait prendre un recul assez rapide et de la hauteur assez rapide. Et au final, moi, ce qui m'intéresse le plus dans cette histoire, au-delà de tester, c'est de réfléchir sur le sujet. En revanche, pour réfléchir sur le sujet, il faut effectivement tester. Concrètement, j'ai entre trois et cinq personnes que je suis, et je suis assez claire sur les personnes que je suis, et je suis leur démarche et je suis leur newsletter, qui sont des pépites chaque semaine ou toutes les trois semaines pour certains. Notamment, j'ai Gilles Guerraz, qui a sa newsletter hebdo, qui s'est concentré sur les métiers de la création, jusqu'à avant septembre, c'était un tour d'horizon un peu global. Et là, honnêtement, il prenait l'eau, donc il s'est concentré sur nos métiers et c'est super. Et lui, c'est une vraie pépite chaque vendredi et parfois le samedi quand il est à la bourre. Et le big recap d'Emmanuel Vivier du Hub Institute, et ça c'est pareil, là ce matin il est sorti, c'est 136 news sur les trois semaines qui viennent de passer. Alors là, je balaye et je prends ce qui m'intéresse. Mais heureusement qu'il y a des gens qui font cette veille-là, qui ont, je ne sais pas, des petits bras, qui sont Shiva, qui sont douze dans leur tête. Je ne sais pas comment ils font réellement, alors si je les connais un peu, mais c'est un peu délivrant. Donc, depuis 6 mois, je suis formatrice, mais comme je m'aperçois que les personnes que je forme la plupart du temps n'ont pas touché une IA, objectivement, si je suis en retard de trois semaines ou un mois, honnêtement, personne ne s'en rend compte. Alors moi, je ne peux pas réellement me permettre d'être autant en retard parce qu'après je ne suis plus, donc je remets à jour mes slides environ, comme tous les formateurs, toutes les semaines. Parce qu'il y a trop de choses qui ont avancé. Et moi, j'ai arrêté de tester tout ce qui est vidéo. Je ne suis pas réalisatrice, donc j'arrête. En revanche, je me concentre sur les images et sur les IA d'images uniquement qui sont pertinentes dans le milieu professionnel. Donc, ça réduit quand même. »
Julien Redelsperger : « Tout à l'heure, tu parlais de cette médiatisation intense que tu as vécue dans un laps de temps assez court. Qu'est-ce qui s'est passé dans ta tête, dans ton esprit, quand tu as commencé à être vraiment ultra sollicitée ? Est-ce que tu t'es dit ça y est, je suis une influenceuse, c'est génial, j'ai réussi? »
Nathalie Dupuy : « Non, j'avais plutôt envie de me tirer dans mon lit et de plus ou moins allumer mon ordinateur pour être honnête. Ce n'était pas trop ça. Ce n'était pas trop ça que j'ai vécu. Ça m'a complètement fait flipper. C'était beaucoup trop de sollicitations. Répondre à trois messages par jour, c'est OK. Mais quand c'est 80, comment ça se passe? Qu'est-ce qu'on fait? Et par tous les réseaux, par tous les... Il y a eu un moment, ça a été assez particulier. J'ai plutôt décidé de partir en vacances, de me recentrer sur mes enfants, la vie de famille, etc. et de réfléchir et de remettre de la distance là-dessus en disant bon, OK, maintenant je m'aperçois que quand je fais un poste, ça a un peu plus d'impression qu'il y a ne serait-ce qu'un an, parce que je suis passé de 1000 abonnés à quasiment 5000 ou non. Là, j'ai passé la barrière des 5000 maintenant. En moins d'un an, ça a été assez fulgurant. Mais encore une fois, il ne faut pas se tromper. C'est-à-dire que je prends la parole. Aujourd'hui, j'ai du recul sur le sujet, c'est-à-dire que j'ai fait du personal branding. Je prends la parole en Léopard parce que ça me fait marrer, parce qu'il y a peu de femmes dans la tech, parce que j'ai brandé tout ça. Aujourd'hui, concrètement, mettre une veste Léopard pour prendre la parole ou une combinaison Léopard parce que du coup, je me fais un peu plaisir, c'est quoi? C'est mettre une armure. C'est-à-dire que quand je prends la parole, pas de question à comment je m'habille le matin pour prendre la parole, c'est fait. Et à la fois, c'est hop, ça y est, j'ai mis une sorte de costume et je monte sur scène pour raconter ce que j'ai à raconter. C'est vraiment un système d'armure, mais c'est aussi des petits tips parce qu'en vrai, parler devant 10 personnes, c'est une chose, 30 c'est personne, mais je suis allée jusqu'à 480, il n'y a rien de normal là-dedans. Du coup, c'est vrai qu'il faut avoir un petit rituel. Donc moi, je me pars de Léopard. Il y a une blague là-dessus, mais en tous les cas, ça me permet d'être légitime, de me sentir légitime et c'est mon petit rituel de concentration… Et bien, j'ai oublié la question ! »
Julien Redelsperger : « C'est pas grave, c'est simplement pour savoir quel impact ça avait eu sur ta vie, comment tu t'y étais préparée et puis en quoi ça avait changé tes habitudes professionnelles. »
Nathalie Dupuy : « Alors, ça a bouleversé mes habitudes professionnelles parce que je me suis mise à vraiment me déplacer beaucoup plus, avoir du job dans tous les sens. Du coup, j'avais déjà monté un pôle de compétence, ça fait 20 ans que j'ai un pôle de compétence, donc ça, je donne un peu du boulot à mes copains comme je faisais avant, à beaucoup plus prendre la parole et puis en public et faire des formations. Il y a pas mal de choses qui ont changé. Et la médiatisation, ou du moins le fait d'être visible sur les réseaux fait que après, je remplis mes formations avec un poste. C'est hyper facile, hyper rapide. Donc ça, c'est vrai qu'il y a quand même des avantages, mais c'est un peu flippant. Moi, j'ai surtout pensé aux personnes qui sont très jeunes, qui ne sont pas encore bien structurées et qui démarrent avec un truc. Et encore, en termes d'ultra médiatisation, on est bien tranquille, c'est juste LinkedIn et je ne suis pas Madonna. Donc, il faut quand même repositionner les choses. »
Julien Redelsperger : « Aujourd'hui, qui assiste à tes formations et qu'en attendent-ils ? C'est quoi les problématiques qui reviennent ou les craintes ? »
Nathalie Dupuy : « Alors, j'ai trois publics, j'ai des annonceurs, donc les équipes créatives d'annonceurs, j'ai des agences de com, les équipes créatives et des indépendants. Là, moi, je veux faire des groupes d'indépendants pour pas qu'ils soient à la traîne sur le sujet. Donc, j'ai divisé mes prix par rapport à ce qui se fait par trois pour que les indépendants puissent prendre le train en marche parce qu'en fait, ils ont moins de couverture que des salariés, donc c'est plus compliqué. Donc, je fais des sessions d'indépendants tous les mois parce que je ne veux pas... Moi, je suis indépendante depuis 20 ans, donc ça me paraissait pertinent de le faire. Donc, c'est globalement des créatifs pour les indépendants, mais ça va, styliste, designer, archi, architecte d'intérieur, graphiste, DA, j'ai des infographistes, j'ai eu un paysagiste. Incroyable! J'ai dit, non, ma formation ne va pas être pour vous. Si, si, parce qu'en fait, il fait tous ses pré-projets. Comme l'IA connaît très bien les plantes, il fait tous ses pré-projets. C'est assez dingue, je n'aurais jamais imaginé. J'ai eu une tatoueuse, j'ai plein de personnes qui sont créatives à un endroit et c'est assez intéressant. »
Julien Redelsperger : « Et les sujets qui reviennent de ces formations, c'est quoi alors? De quoi tu parles et quelles sont les questions qui reviennent le plus souvent? »
Nathalie Dupuy : « Essentiellement, comment vendre une image, le cadre légal pour vendre une image? Parce que ça, c'est un des points, ils ont assez rapidement compris que cette histoire de droit d'auteur et de propriété intellectuelle, c'est un sujet un peu touchy. Comment on se débrouille dans tout ça ? Ce n'est pas anodin. Donc, il y a un petit peu un cadre à imaginer et à comprendre. Donc, ça, c'est un des points. Les points, c'est, wow, on en est déjà là. Puisque du coup, après la phase d'acculturation avec un panorama de tout ce qui se fait. Alors là, pour le coup, c'est le sujet qui est, dans mes slides, c'est ce qui est le plus à jour puisque ça, c'est le thème des prises de parole en public aussi. En fait, c'est assez varié et en fonction des personnalités, il y a tout type de réaction. Il y a ceux qui sont très contre. En général, j'ai eu plusieurs cas de personnes très contre le matin, qui étaient très, très, très, beaucoup trop pour le soir. »
Julien Redelsperger : « Ils sont contre, mais ils viennent se former quand même. C'est un peu curieux, non? »
Nathalie Dupuy : « Oui, parce qu'en fait, c'est difficile de ne pas au moins comprendre de quoi on parle. Et j'avoue que le retournement de situation, je n'imaginais pas en une journée, voir beaucoup trop fasciné à la fin de la journée, même presque. J'ai eu aussi une styliste, une styliste de mode, qui était complètement dégoûtée parce qu'elle n'était pas renseignée dans la machine. Donc, ses images n'avaient pas suffisamment servi d'exemple. Alors ça, j'avais halluciné aussi. Donc, c'était l'extrême inverse. Je forme également des étudiants dans des écoles supérieures où là, ils challengent pas mal parce qu'ils sont assez contre. Ils peuvent être assez contre.
Julien Redelsperger : « Donc, la jeune génération, la nouvelle génération de créatifs a plutôt un regard un peu méfiant, c'est ça, par rapport à l'IA ? »
Nathalie Dupuy : « C'est intéressant. Je m'attendais vraiment à l'inverse, tu vois. Eh bien non. Alors, moi, j'ai trois écoles, trois publics différents et que ce soit dans la mode ou dans le design, ils sont au départ extrêmement contre. Et vraiment, il y a même eu des questions que je pose à des petits groupes. Est-ce que vraiment, vous voulez que je vous enseigne la technique ou est-ce que vous préférez ne pas assister à mes cours ? Ce que je peux comprendre, c'est votre liberté. C'est OK pour moi. Mais voilà. »
Julien Redelsperger : « Et dans les écoles d'art, dans les écoles de design, est-ce qu'on enseigne l'IA ? Est-ce que tu sais un peu s'il y a des cours autour de l'IA générative ? »
Nathalie Dupuy : « Alors, de design, oui. Moi, je donne des cours dans une école. Donc, design, oui. Dans des écoles d'art à proprement parler, je ne sais pas. Mais c'est vrai que je... Quelle que soit sa position, ça me paraît difficile de ne pas au moins appréhender et tester la techno. Elle est vraiment partout. »
Julien Redelsperger : « En début d'entretien, on parlait effectivement de la différence entre selon que ce soit le grand public qui utilise l'IA ou selon que ce soit un créatif ou un designer ou un expert. Le résultat va être très différent. Pourquoi et comment ? C'est quoi ? C'est sur la manière de prompter ? C'est la manière d'interroger et d'interagir avec l'IA ? Qu'est-ce qui explique cette différence ? »
Nathalie Dupuy : « L'outil est le même et il n'est pas si compliqué quand tu compares avec un Photoshop ou un Illustrator où tu as des tonnes de menus, d'options dans tous les sens. Prompter une IA, ce n'est pas très compliqué en soi. Et pourtant, tu expliques qu'il y a deux résultats qui peuvent être très différents. Alors, prompter une IA, ce n'est pas très compliqué. Je suis d'accord avec toi. Maintenant, je vais te donner juste un petit exercice. Si tu as déjà prompté, est-ce que sur ton prompt, l'intégralité des éléments qu'il y avait sur ton image était sur ton prompt ou est-ce que tu avais une grosse part d'aléatoire ? »
Julien Redelsperger : « Il y a toujours une part d'aléatoire, je pense. »
Nathalie Dupuy : « Voilà, c'est ça en fait l'enjeu. C'est-à-dire que nous, créateurs, si on veut vendre l'image, il faut qu'il y ait le moins d'aléatoire possible par rapport à cette histoire de propriétaires intellectuels plus tard. Première chose. Deuxième chose, s'il n'y a pas d'aléatoire, s'il y a le moins d'aléatoire possible, il faut contrôler le plus possible. Donc, ça veut dire qu'il faut utiliser des mots qui soient hyper pertinents. Donc, une image, on va la composer avec un vocable stylistique, un vocable artistique. Et quand je dis artistique, ce n'est pas citer l'artiste qu'on va copier parce que ça, c'est interdit. Ça, c'est à manière directe parce que ça, c'est invendable. Mais un style artistique, dans le style pointilliste, dans le style je ne sais quoi, etc. Et donc, toute cette richesse. Un bon prompteur, c'est quelqu'un qui a une grosse culture de l'image, mais culture de l'image au sens large. Les courants artistiques, les courants stylistiques en déco, les couleurs, appréhender les couleurs, les gammes de couleurs, etc. Et c'est tout ça dont on parle. C'est-à-dire, tu fais une image d'une personne parisienne sur un balcon. Qu'est-ce que c'est ? Est-ce que c'est un immeuble haussmanien ? Est-ce que c'est un immeuble moderne ? Mais tout ce détail-là, c'est ce qu'on fait, nous, en tant que créat. Donc, là-dessus, c'est ce qui fait toute la différence. Comment t'éclaires une image ? Où est-ce que tu positionnes ton éclairage ? Où est-ce que tu positionnes ton point de vue ? Où est-ce que tu positionnes ton cadrage ? Tout ça, c'est pas du tout naturel. Donc, c'est sûr que si tu fais un chat sur Mars, c'est bien tranquille sur le résultat, mais c'est que de l'aléatoire dans la finalité. En revanche, si ton chat sur Mars, il est en contre-plongée, il est habillé de telle façon futuristique, bref, tu peux agrémenter, agrémenter, agrémenter. Et du coup, c'est en ça que les images sont différentes à la fin, parce qu'elles sont travaillées, itérées. Moi, je fais des promptes à la Balzac. Je suis une bavarde, de la même manière que je suis bavarde ici. Je suis bavarde tout le temps. »
Julien Redelsperger : « Donc, un prompt moyen, c'est quoi ? C'est 15 lignes, 20 lignes pour toi ? »
Nathalie Dupuy : « Oui, c'est ça. C'est une quinzaine de lignes. Moi, je raconte une histoire. Je pose tout le décor. On sait où est l'éclairage. On sait comment la pose. On peut aller très loin, très, très loin. »
Julien Redelsperger : « Et à quel point tu es généralement satisfaite du premier jet qui est produit par l'IA ? »
Nathalie Dupuy : « Jamais. Je ne suis jamais satisfaite du premier jet. Jamais. Il y a toujours des itérations, tout le temps. Et très souvent, je travaille entre IA. Je fais travailler plusieurs IA et je retouche. Je n'ai jamais positionné une image en premier jet. Si, sauf quand je fais des choses sur moi, avec mon image sur les réseaux, parce que là, je m'en fiche. Je questionne autre chose. Donc là, c'est plus pour me faire marrer et questionner autre chose. Mais sinon, sur des images vraiment pro, c'est toujours extrêmement itéré. »
Julien Redelsperger : « Un des points importants, quand on parle d'IA, c'est ce risque de standardisation des images. ChatGPT a son style. Midjourney a son style. À moins, comme tu le dis, d'aller vraiment dans le détail. Et même quand tu vas dans le détail, tu es quand même capable d'aller contre ces styles un peu qui sont imposés par les outils. »
Nathalie Dupuy : « Oui, en fait, vraiment, en regardant en précision les images que je montre dans le IA, honnêtement, si ce n'est pas dans un magazine qui traite de l'IA, un bon nombre d'images, tu ne peux pas savoir que c'est bien. Et là, sur le prochain IA qui est en préparation, il y a notamment deux dans les AIs créateurs que je vais proposer. Tu ne peux pas imaginer que ce n'est pas fait en photo. C'est impossible. Il y a une personne qui est dans le luxe et une personne qui est dans le photoréalisme. On dirait du Ken Loach en photo, des plans de Ken Loach. C'est assez bluffant. »
Julien Redelsperger : « Tout à l'heure, tu parlais de la nécessité d'avoir une grosse culture générale, connaissances artistiques pour vraiment bien utiliser l'IA. Est-ce que tu penses que ça va toujours être le cas dans le futur, alors que l'information et les outils vont également évoluer avec le temps ? Et est-ce que tu penses que les graphistes ou les créatifs en ont conscience de ça, de cette nécessité d'intellectualiser un peu cette IA et d'avoir une grosse base de connaissances ? »
Nathalie Dupuy : « Tant qu'ils n'ont pas utilisé, ils n'en ont pas forcément conscience. En revanche, à partir du moment où ils l'utilisent, il y a un changement qui est capital. C'est que jusqu'à maintenant, on mentalisait nos images et on prenait un crayon, un appareil photo, un photomontage et on créait. On n'avait pas besoin de parler. Aujourd'hui, on a besoin de décrire. Ce processus-là, pour nous créatifs, c'est déjà une révolution. Le fait de décrire une image et de réfléchir au plan, aux arrières, au plan haut. Si on veut que notre image, l'image réelle qu'on a en tête, soit qu'on puisse la sortir, il faut quand même déjà mettre un peu de phrase dans son prompt. Ce qui fait que très rapidement, ils s'en rendent compte très clairement. Quand je te parle du petit chat sur Mars, ils commencent tous par faire ça. Sauf qu'après, je leur montre l'importance du cadrage. Dans ma formation IA, il y a une grosse partie. C'est qu'est-ce qu'un cadrage ? Qu'est-ce qu'un point de vue ? Qu'est-ce qu'une lumière ? Qu'est-ce qu'une gamme colorimétrique ? »
Julien Redelsperger : « Mais c'est un peu les fondamentaux. C'est un peu quelque chose que tous les créatifs devraient connaître, non ? »
Nathalie Dupuy : « C'est bien de leur rappeler. C'est bien de rappeler que pour bien prompter l'IA, ils ont les fondamentaux. Ce n'est pas le problème. Simplement, pour bien prompter l'IA, il faut s'en servir. Ce n'est pas un chat sur Mars. C'est le chat en contre-plongée avec une lumière rasante. Et tu décris tout ça. Et là, tu as une image qui devient fantastique de ton chat sur Mars. C'est un exercice qui est hyper compliqué. C'est-à-dire que tu as une image dans ta tête, tu mentalises quelque chose et il faut la transcrire en mots, en plus parfois en anglais, parce que tous les outils ne sont pas très bons en français. »
Julien Redelsperger : « En anglais, obligatoirement. »
Nathalie Dupuy : « Oui, c'est ça. C'est une usine à gaz. Oui, mais c'est ça d'être prompteur. Tu n'as pas le choix. Ou alors, effectivement, encore une fois, tu fais un chat sur Mars et tu postes ça sur LinkedIn et c'est tout pourri. »
Julien Redelsperger : « La question de la langue, d'ailleurs, on en parle à l'instant. Est-ce que c'est important ? Parce que tous les créatifs ne maîtrisent pas forcément l'anglais. Mais pourtant, pour prompter en anglais, tu n'as pas le choix, c'est ça ? »
Nathalie Dupuy : « Tu n'as pas le choix. »
Julien Redelsperger : « Tu ne peux pas demander à ChatGPT de faire un prompt en français, le traduire en anglais, le réinjecter ailleurs. Ça fonctionne quand même ? »
Nathalie Dupuy : « Si, tu peux. Ah bien, bien sûr. En fait, il y en a assez peu qui ont eu un anglais suffisamment précis et suffisamment, à moins que tu sois anglais natif, honnêtement, tu prompteras mieux dans ta langue natale et derrière, tu le traduis et tu traduis par une IA par DeepL. »
Julien Redelsperger : « D'accord. Évidemment. »
Nathalie Dupuy : « À part dans la déco, parce que la déco, que tu promptes en français, en italien ou en anglais, le résultat est le même. C'est-à-dire que quand tu es en déco, la décoration, stylistique, les mouvements de décoration sont aussi pertinents en français, en italien qu'en anglais. J'ai eu souvent des décorateurs d'intérieur qui promptaient en français, c'est parfait, versus anglais, alors que dans tout le reste, c'est en anglais où tu as un meilleur résultat, très clairement. Moi, j'ai beaucoup amélioré mon anglais. Pas mon accent, mais mon anglais ! »
Julien Redelsperger : « Tant mieux. Alors, pour conclure cet entretien, Nathalie, j'aimerais qu'on se projette un peu dans le futur. À quoi ça va ressembler le monde de la créa dans un an, deux ans, cinq ans ? À quoi va ressembler ton métier dans un an, deux ans, cinq ans ? Et plus globalement, comment tu vois les choses évoluer ? Au rythme, ça va ? »
Nathalie Dupuy : « Alors déjà, dans cinq ans, j'en sais rien. On va peut-être être durs sur les six prochains mois, parce qu'on y a ce qui est vrai aujourd'hui, peut être balayé dans trois semaines et bouleversé. Pour être plus sérieuse, mais bon, même si je viens de dire être très sérieux, malgré tout, j'ai le sentiment qu'on va aller vers une sorte... On aura un agent avec qui on va co-créer. C'est cette histoire d'agentivité. Moi, je pense que c'est à cet endroit-là que ça va s'accélérer encore plus. Et c'est déjà le cas. »
Julien Redelsperger : « Tu peux juste rappeler, c'est quoi un agent d'IA ? »
Nathalie Dupuy : « Un agent, en fait, là, ce sera une IA qui est déjà un peu entraînée sur tes choix, sur ce qui te plaît, sur ta façon de travailler, sur ton process, une IA un peu personnelle, en fait. Ce sera ça, je pense. Et on aura cette espèce de co-création entre notre agent et nous. Parce que c'est déjà un peu ça sur les GPT, ce qu'on a déjà appris à entraîner. C'est déjà un peu ça sur, notamment, les deux dernières innovations de Claude et de GPT O1, qui, pour le coup, commencent à faire des chaînes de raisonnement. On commence déjà à tendre vers ce truc-là. Je pense qu'au niveau créatif, ça va être aussi un petit peu à cet endroit-là que ça va se jouer. Pour l'instant, on est complètement au contrôle de l'IA et on fait le ping-pong créatif avec l'IA, mais on lui donne un peu les cartes. Et à un moment, je pense que l'IA va se nourrir aussi de notre façon de faire et qu'on sera sur quelque chose d'un peu plus intuitif, je pense. »
Julien Redelsperger : « D'accord. Et pour les jeunes qui nous écoutent, qui sont en école, les designers juniors ou les personnes qui souhaitent se reconvertir dans le domaine créatif, quelles sont les qualités à développer pour vraiment s'épanouir dans ce métier alors que l'IA est omniprésente ? »
Nathalie Dupuy : « Les mêmes qualités qu'avant, je pense. »
Julien Redelsperger : « Ça, ça n'a pas changé ? »
Nathalie Dupuy : « Oui. Ouvrir les yeux, être conscient, être curieux, regarder autour de soi, s'émerveiller d'un beau coucher de soleil, des belles couleurs, de la composition, ce côté un peu contemplatif, ça, je pense que ça n'a pas changé. Le point essentiel, c'est ne pas tarder à s'y mettre, au moins pour comprendre les enjeux de cette histoire-là, au moins pour comprendre comment ça fonctionne. Et du coup, peut-être aménuire des peurs, peut-être les accélérer, j'en sais rien. En tous les cas, je pense que même si on a peur de l'outil, mieux vaut le comprendre. On est toujours mieux armé quand on comprend les choses. Ça me semble être un des points essentiels. Ensuite, la créa et les créatifs se portent bien. Il y a plein de choses très créatives qui se font avec ou sans IA, toujours. Si on a une âme créative, il faut y aller, il faut venir, de toute façon, et essayer parce qu'on peut vraiment se marier aussi. »
Julien Redelsperger : « D'accord, parfait. Merci beaucoup, Nathalie. Alors, à la fin de chaque épisode, l'invité du jour doit répondre à une question posée par l'invité précédent. En attendant d'écouter la tienne, je te laisse écouter celle de Marcus Geier, qui est associé d'un cabinet de conseil et consultant. On écoute sa question. »
Marcus Geier : « Quel est pour lui cet usage d'IA génératif qui a un peu changé la donne pour lui ? Ou il s'est dit, là, j'ai compris que c'était un vrai sujet et qui m'a donné envie d'aller plus loin et d'expérimenter d'autres usages. »
Nathalie Dupuy : « Alors, pour elle, du coup… J'ai compris que ça a changé la donne assez tôt. J'ai compris que ça a changé la donne relativement tôt quand j'ai monté le magazine sous forme d'expérience. Cet aspect un peu révolutionnaire d'un point de vue autant sociétal que graphique, que philosophique, que éthique, je l'ai compris au final assez tôt. Enfin, je l'ai intuité assez tôt. C'est bien pour ça, d'ailleurs, que je me suis intéressée au sujet et que j'ai voulu questionner les métiers de mon environnement. Objectivement, je n'imaginais pas être la première au monde à faire cette expérience. Je n'imaginais pas encore un an et demi après, qu'on ne soit que deux en France à avoir un magazine, que le troisième magazine est en Italie et le quatrième est en Australie. En fait, je n'imaginais pas que la question que je me posais aurait un retentissement aussi colossal. Je pensais que d'autres personnes... Moi, j'allais poser une question, que quelqu'un s'était déjà posé la question, allait me répondre et terminé. Je ne pensais pas qu'on allait en être là. Aujourd'hui, ayant compris cette notion de révolution, je l'ai intégrée, ce que j'ai dit un peu tout à l'heure, dans le processus de création, au niveau du ping-pong créatif. Moi, je fais des affiches de films pour des films d'animation. Depuis 20 ans, j'ai bossé sur une centaine de films. J'avoue que le remplissage automatique de Firefly pour générer des bords perdus, pour que ça puisse être imprimable, je l'utilise tous les jours. Il y a plein de petites choses sur lesquelles je gagne du temps aussi au niveau professionnel et personnel. Je suis très vigilante sur la donnée de mes clients, les données de mes clients, mes données perso. Je suis très vigilante là-dessus. »
Julien Redelsperger : « Tout à l'heure, tu disais qu'aujourd'hui, en répartition dans ton métier, entre ton travail créatif et ton travail de formatrice, c'est quoi ? C'est du 50/50 ? »
Nathalie Dupuy : « Ça dépend des mois. Ça dépend des mois. Le mois d'octobre, il a été un peu chargé. On va dire que c'était 60/40. 60% pour la formation. Novembre, c'est du délire. Je pense qu'on va être sur du 80/20. »
Julien Redelsperger : « Tu passes aujourd'hui quasiment, en gros, en moyenne, 70 à 80 % de ton temps à faire la formation ? »
Nathalie Dupuy : « En ce moment, c'est vraiment beaucoup la formation. Vraiment. C'est le besoin. C'est-à-dire que toutes les personnes qui ont commencé il y a un peu longtemps, c'est-à-dire il y a un an et demi, ou deux ans, on est toutes, on est tous très, très pris au niveau de la formation. C'est en ce moment que les gens commencent à comprendre, vraiment, annonceurs comme indépendants, comme agences de com, l'urgence de se former pour ne pas faire n'imp. »
Julien Redelsperger : « Donc, quand tu te retrouves face à ton ordi, finalement, c'est le côté un peu ressourçant, c'est ça ? »
Nathalie Dupuy : « Oui, j'adore me retrouver tranquillement face à mon ordi pour être un peu tranquille, en fait. Ce qui n'est pas plus suffisamment le cas. »
Julien Redelsperger : « Parfait. Très bien. Merci beaucoup, Nathalie. Alors, à toi, à présent, quelle question est-ce que tu aimerais poser au prochain invité ? »
Nathalie Dupuy : « Ma question est la suivante, c'est quel est votre avis, à court ou moyen terme, sur l'agentivité ou la multi-agentivité ? »
Julien Redelsperger : « D'accord. Parfait. Écoute, merci beaucoup, Nathalie Dupuis. Je rappelle que tu es directrice artistique, formatrice, conférencière et exploratrice de l'intelligence artificielle. Merci d'avoir participé à ce podcast. »
Nathalie Dupuy : « Merci à toi, Julien. C'était un plaisir. »
Cette transcription a été réalisée par un outil d'intelligence artificielle. Elle n'est peut-être pas 100% fidèle au contenu d'origine et peut contenir des erreurs et approximations.