L’audit à l’ère des algorithmes
Comment l’intelligence artificielle transforme-t-elle concrètement les métiers de l’audit et de la finance ? Dans cet épisode, Xavier Niffle, associé audit en charge du digital et de l’innovation chez KPMG, vous éclaire sur les mutations profondes à l’œuvre dans son secteur. Audit en temps réel, détection des signaux faibles, copilotes intelligents, protection des données sensibles : vous découvrirez comment l’IA modifie la pratique quotidienne des auditeurs, les attentes des clients… et les compétences recherchées chez les jeunes diplômés. Une conversation qui interroge aussi le rôle de l’humain face à la machine, et la manière dont la confiance se construit à l’ère algorithmique.

Xavier accompagne depuis 2005 des sociétés de croissance et des groupes internationaux dans le secteur des technologies : Editeurs de logiciel, Entreprises de Services du Numérique (ESN) et Sociétés d'Ingénierie et de Conseil en Technologies (ICT). Ingénieur et passionné par l'innovation, Xavier pilote la digitalisation du métier avec pour ambition de proposer une expérience audit réinventée à nos clients et talents. Après un transfert en Inde durant lequel il a accompagné une ESN française dans le cadre d’une acquisition majeure, Xavier crée le bureau des relations Franco-Indiennes pour faire bénéficier de notre expertise du marché Indien à l’ensemble des clients du cabinet.

Xavier Niffle
Associé Audit, secteur des Technologies
Julien Redelsperger Et pour cela, j'ai le plaisir d'être accompagné par Xavier Nifle, qui est associé audit secteur des technologies, membre du Codir Audit, en charge du Digital Audit et de l'innovation chez KPMG. Aujourd'hui, nous allons donc parler de finance, d'audit et de la manière dont l'intelligence artificielle transforme ce secteur. Bonjour Xavier, merci de participer à cet épisode d'AI Experience. Comment vas-tu ?
Xavier Niffle Écoute, je suis en pleine forme. Tu sais, pour un ingénieur comme moi, et plus généralement pour un technophile, on vit quand même une période de dingue. Moi, j'ai pu l'observer, on est clairement rentré dans le 21e siècle avec l'émergence de l'IA et de l'IA générative. Je crois vraiment que jamais une techno n'a aussi vite envahi nos vies personnelles. Mais la société civile, c'est aussi le monde de l'entreprise, alors je suis vraiment ravi de pouvoir échanger avec toi sur l'impact de l'IA en entreprise et aussi sur l'impact de l'IA dans l'audit.
Julien Redelsperger Écoute, avec grand plaisir. Alors, on va commencer très simplement, Xavier, parce que tout le monde n'est pas spécialiste de la finance ou de l'audit. Pour mettre un peu à l'aise nos auditeurs, on peut se dire que l'audit, la finance, tout ça, c'est des trucs un peu compliqués. Est-ce que tu peux expliquer simplement ce qu'est un auditeur et peut-être ce que ce n'est pas ?
Xavier Niffle Bien sûr. Alors, l'économie, qu'elle soit d'ailleurs locale ou mondiale, repose sur des relations entre partenaires. Alors, on pense tout de suite aux relations d'affaires entre deux entreprises, mais ça va en réalité bien au-delà. Une entreprise, tu sais, interagit avec de nombreuses parties prenantes, à commencer par ses salariés, ses actionnaires, ses investisseurs et même l'État. Et pour que cet écosystème fonctionne correctement, il est essentiel que les relations entre ces parties soient basées sur un principe fort, qui est celui de la confiance. Et c'est là qu'intervient le rôle de l'auditeur. Ce rôle est tout simplement d'apporter cette confiance, notamment en contrôlant à la fois la communication financière et la communication extra-financière des entreprises. Et avec l'essor de l'intelligence artificielle, qui est aujourd'hui de plus en plus utilisée en entreprise, le monde économique va avoir de plus en plus besoin de tiers de confiance. Alors, tu vois, l'audit, c'est à la fois un beau métier et c'est même au-delà un métier d'intérêt général.
Julien Redelsperger Alors, l'audit, c'est un métier historique, évidemment, pour KPMG, comme tous les grands cabinets de conseil du monde. Pourtant, on sait que l'IA est en train de changer les choses. Est-ce que, selon toi, l'IA a le même impact au niveau des comptes de l'audit et de la finance sur une PME que sur une multinationale ? Et surtout, qu'est-ce que ça change en ce moment de parler d'IA quand on parle d'audit ?
Xavier Niffle Alors, comme toute nouvelle technologie, l'IA a un certain coût et nécessite donc des investissements élevés. Et on a pu observer que les premiers utilisateurs de l'IA sont les grandes entreprises, tu en parlais, les multinationales. D'ailleurs, dans notre récente étude sur l'impact de l'intelligence artificielle dans la fonction finance, on a relevé que 85% des entreprises de moins de 500 millions de chiffre d'affaires, c'est-à-dire les PME et les ETI, n'utilisaient pas du tout l'intelligence artificielle. Alors, on peut se poser la question, pourquoi ? J'y vois trois principales raisons. La première, c'est qu'il y a un certain coût, je te le disais, et tu as pu le voir ces derniers jours, OpenAI a annoncé l'arrivée de GPT 4.5 et cette version de GPT est 100 fois plus chère que GPT 4.0. Et à l'inverse, il y a quelques semaines, DeepSea qui est arrivé sur le marché a bouleversé, on va dire, le monde en introduisant un modèle qui est à la fois assez économique et aussi peu consommateur d'énergie. Et d'ailleurs, lors de la dernière Rentrée du Medef, qui était en août dernier en France, tu as le président et le directeur général d'EDF, Luc Rémont, qui partage avec nous sa réflexion sur le fait que l'IA aujourd'hui, faire poser une question à ChatGPT, ça revient à faire couler, d'un point de vue énergétique, une tasse et deux cafés. Mais finalement, il y a quelques années, c'était plutôt trois tasses, quatre tasses. Donc finalement, les nouveaux modèles vont être beaucoup moins consommateurs d'énergie et aussi beaucoup moins chers. Alors je te parlais de trois raisons. La première, c'est le coût, c'est les investissements. Les deux autres, c'est la confidentialité des données et aussi la complexité réglementaire. Et là, je ne peux que recommander aux PME et aux ETI d'être bien accompagnées dans leur projet d'IA. Et c'est ce que nos équipes du consulting ETI font au quotidien. Au-delà de ce type de projet très spécifique, les PME vont pouvoir bénéficier de l'IA aussi grâce à leurs partenaires. Par exemple, chez nous, chez KPMG, on fait bénéficier nos solutions boostées à l'intelligence artificielle à tous nos clients, que ce soit les grandes multinationales, mais aussi les PME très locales. Et puis à moyen terme, je dirais que l'IA va être embarquée dans toutes les solutions des éditeurs de logiciels. C'est déjà le cas avec les dernières versions des très grands ERP, mais aussi sur des logiciels qui sont plus accessibles à une PME ou une ETI. Et je pense en particulier à la dernière version de Sage, qui est un logiciel de comptabilité.
Julien Redelsperger Alors tu citais l'étude de KPMG, effectivement j'en ai pris connaissance. Et il y a un chiffre qui m'a intéressé, qui dit que 73% des entreprises utilisent déjà l'IA pour produire des données financières. Alors ça veut dire quoi concrètement ? Utiliser l'IA pour produire des données financières ? Et puis surtout, est-ce qu'il y a un risque pour les entreprises qui ne s'y mettent pas ? Et quels sont ces risques ?
Xavier Niffle C'est vrai, et on a voulu mesurer finalement la rapidité d'adoption de l'IA en entreprise. Et pour cela, on a interrogé et interviewé 2900 directions financières partout dans le monde, dans les grands pays de la tech, les US, la Chine, l'Europe, et puis dans des pays émergents. Et on a pu constater que la maturité des entreprises en matière d'IA est très disparate. Alors je vais donner un exemple, il y a 18% des entreprises qui commencent seulement à s'interroger à l'intelligence artificielle et qui ont démarré quelques projets autour de l'IA. Alors je dînais il y a quelques mois avec le directeur de la communication financière d'un groupe français à côté, et il m'expliquait qu'il utilisait l'IA pour préparer sa communication financière, c'est-à-dire son communiqué de presse. En fait, il préparait lui-même une première version et il proposait à son directeur financier une version plus optimiste et une version plus pessimiste, à charge ensuite au directeur financier de retenir celle qui correspondait au mieux, on va dire, quelques jours avant la communication financière. Voilà un exemple d'une société qui utilise l'IA, mais j'allais dire qui est un beginner en quelque sorte, qui s'y intéresse seulement. Et puis à l'inverse, a contrario, on a pu mesurer que 24% des entreprises sont considérées comme des leaders, c'est-à-dire des précurseurs dans l'utilisation très active de l'IA au sein de la fonction finance. Alors je vais te donner un autre exemple, dans le monde des assurances, il y a quand même un secteur d'activité très complexe, les assureurs utilisent de plus en plus l'IA pour déterminer les primes d'assurance, et ça, c'est un impact direct dans la production des états financiers. Alors avec ces deux exemples, tu vois bien qu'on perçoit une différence importante de maturité entre entreprises. Alors je dirais que l'enjeu des entreprises en matière d'IA, c'est bien de passer du concept à l'industrialisation, et pas seulement au niveau de la fonction finance, mais bien de passer à l'industrialisation dans toute l'organisation. Les produits, les offres, les opérations, le marketing, les RH même, c'est-à-dire partout dans toute l'organisation. Je vais te donner deux autres exemples. Carrefour, qui est l'un des acteurs à avoir communiqué le premier sur l'utilisation de l'IA dans les ventes, dans son offre en quelque sorte, qui a lancé une plateforme dès 2023, qui permet à tout un chacun qui se connecte sur le site de poser une question à un chatbot, lui dire, tiens, par exemple, ce soir je reçois quatre convives à dîner et j'aimerais que tu me proposes une recette facile. Je sais qu'ils aiment la cuisine italienne. Qu'est-ce que tu me proposes ? Moi, je ne suis pas très bon cuisinier, donc il faut que ce soit rapide. Et le chatbot répond en proposant des tagliatelles à la Carbonara, par exemple, et vous propose ensuite évidemment la liste de courses que vous pouvez acheter directement sur le site. Ça, c'est un exemple très concret d'utilisation massive, industrialisée au sein des ventes et du business. Et puis un autre exemple, là plutôt au niveau du support au sein de l'organisation, c'est Bouygues Télécom qui a annoncé il y a déjà quelques mois l'utilisation de l'IA à très grande échelle au sein de son service client. C'est-à-dire que vous êtes un abonné de Bouygues Télécom, vous appelez le service client, vous tombez sur un opérateur et la conversation est enregistrée et elle est analysée par une IA générative qui va ensuite faire un résumé. Comme ça, si vous rappelez l'opérateur pour une autre question, celui qui va vous répondre aura le résumé et va pouvoir être plus pertinent dans sa réponse. Alors voilà, ça c'est deux bons exemples qui illustrent bien l'industrialisation ou une industrialisation qui a réussi. Alors on peut se poser la question, comment faire pour industrialiser ? Pour moi, il faut déjà être bien accompagné, je vous le disais, et nos équipes sont sollicitées tous les jours par des clients qui veulent passer à l'échelle. Et puis aussi, il faut savoir adopter une bonne stratégie IA. Et chez nous, chez KPMG, on a d'abord lancé énormément de projets, on a tiré tout azimut en quelque sorte. Et il s'est avéré que c'était très décevant, on a eu des résultats qui n'étaient pas bons. Et on a décidé progressivement de recentrer nos efforts sur quelques cas d'usage qui fonctionnent bien, comme par exemple la recherche documentaire, l'analyse de conformité, la détection des erreurs. Et on a investi uniquement sur ces cas-là. Alors mon conseil, c'est qu'il faut se lancer, car si on ne le fait pas, finalement on risque de se retrouver en retard compétitif par rapport aux autres entreprises du même secteur d'activité, qui elles, pour le coup, avancent. Et si on veut donc éviter que nos solutions et que nos offres prennent un coup de vieux, il faut y aller. Et puis finalement, si on n'avance pas, on ne pourra pas bénéficier, parce que c'est un des gros avantages de l'IA, c'est de prises de décisions qui sont efficaces, plus précises, grâce à l'analyse de données en masse qui a été proposée par cette techno. Et puis enfin, je dirais que c'est probablement le plus important, si vous voulez continuer à attirer des talents, il faut investir. Et là, je partage avec toi une expérience, c'est qu'au sorti du confinement, parce que je reçois beaucoup de candidats qui souhaitent rejoindre nos équipes, la première question des jeunes diplômés, c'était "Est-ce que vous proposez des jours de télétravail ? Combien de jours par semaine ?" C'est à peu près une des plus grandes questions. C'est assez triste, mais c'est comme ça. Et aujourd'hui, les étudiants me demandent "Est-ce que vous avez intégré des solutions d'IA dans votre delivery model au quotidien ? Est-ce qu'on va pouvoir utiliser un copilote qui va nous permettre d'être plus efficace ?" Donc si on ne tourne pas et si on ne bascule pas à l'ère de l'IA, le métier sera moins attractif.
Julien Redelsperger D'accord. Alors, si on se parle aujourd'hui, c'est pour parler de l'IA, tu parles d'industrialisation de l'IA, et tu le sais aussi que l'IA générative n'est qu'une composante de l'IA qui existe depuis 50, 60, 70 ans dans les labos de recherche, etc. Alors, j'ai plusieurs questions sur ce sujet avec toi, mais est-ce que vraiment c'est cette révolution de l'IA générative qui a poussé l'ensemble des entreprises à s'intéresser à l'IA ? Et est-ce que KPMG s'intéressait déjà à l'IA avant ChatGPT, avant l'IA générative ? Et qu'est-ce que ça a changé pour vous ?
Xavier Niffle On n'a pas attendu ChatGPT pour s'intéresser à l'IA, et on travaille déjà depuis de nombreuses années avec des partenaires, éditeurs de logiciels sur des algorithmes d'IA, ce n'était pas encore de l'IA générative, mais qui permettent notamment d'identifier les signaux faibles. Je t'expliquerai tout à l'heure comment ça se passe très concrètement. Donc en réalité, ça fait 5, 6 ans maintenant qu'on s'intéresse, enfin plus qu'on s'intéresse, c'est qu'on investit dans des solutions à base d'intelligence artificielle. Et moi, j'ai des clients éditeurs de logiciels qui m'expliquaient que ça fait, comme tu le dis, 30 ans qu'ils font de l'IA avant l'heure, en quelque sorte, pour toujours plus proposer, j'allais dire, de la valeur ajoutée à leurs clients.
Julien Redelsperger Et est-ce que, toi qui t'intéresses beaucoup à ces technologies, est-ce que tu as vu venir ChatGPT ? C'est une question que je pose souvent à mes invités parce que ça m'intéresse. Ça a été un vrai moment de flexion, vraiment, dans toutes ces technologies. Je suis curieux de savoir si tu l'as senti venir, et surtout, qu'est-ce que tu en as pensé, et qu'est-ce que tu t'es dit dans les semaines qui ont suivi la sortie, novembre 2022, de la première version de ChatGPT ?
Xavier Niffle Écoute, moi, j'ai été émerveillé. Aujourd'hui, je l'utilise tous les jours, au quotidien, pour des travaux qui sont parfois assez simples, des tâches administratives, de la traduction de documents, et parfois pour lui poser des questions un petit peu plus "tricky", presque pour percevoir ses limites ou évaluer ses limites en matière de diligence d'audit, de procédure d'audit. Et pour répondre à ta première question, j'ai toujours su que la prochaine étape en matière d'interaction, finalement, avec les solutions et les ordinateurs, c'était la voix. Et je crois beaucoup en une interaction homme-machine à travers la voix. Alors, je ne pouvais pas imaginer qu'on allait pouvoir interagir comme on le fait aujourd'hui avec un ChatGPT, mais finalement, je n'étais pas très très loin, mais je n'avais pas encore nommé cette IA générative.
Julien Redelsperger Et est-ce que tu dirais qu'au cours des deux, trois dernières années, le nombre de projets à base d'IA a vraiment augmenté de manière exponentielle ? Est-ce qu'il y a une vraie différence entre avant ChatGPT et après ChatGPT ?
Xavier Niffle Alors, je distinguerais peut-être deux périodes. C'est vrai que dans les mois qui ont suivi l'annonce de ChatGPT, c'était en novembre 2022, la plupart des éditeurs, puisque tous les médias ne parlaient que de ça, ont finalement intégré le nom IA dans leurs solutions, mais sans forcément faire évoluer leurs solutions. Donc là, c'était un peu de l'IA-washing en quelque sorte. Et puis, progressivement, parce que aussi, comme je te le disais, on a testé énormément la machine, voir les frontières finalement, jusqu'où on pouvait aller. On sait aujourd'hui les cas d'usage qui fonctionnent bien, et on recentre vers ce qu'on appelle des agents IA. C'est-à-dire, c'est des solutions à base d'IA ou d'IA générative qui permettent d'adresser peut-être qu'un seul cas d'usage, mais qui l'adressent de manière exceptionnelle. Et donc, aujourd'hui, les éditeurs de logiciels, et nous aussi en interne, on développe des solutions qui ne font pas tout, mais qui sont centrées sur quelques cas d'usage qui fonctionnent très très bien.
Julien Redelsperger D'accord. Alors, en préparant cette émission, on parlait de signaux faibles, qui sont ces informations qui peuvent éventuellement dire à un auditeur "Attention, cette entreprise est peut-être en danger, ou peut-être qu'elle a pris des mauvaises décisions, et qu'il serait temps de regarder un peu les choses plus en détail, sans attendre la clôture des comptes." Tu disais que l'IA pouvait avoir un rôle à jouer dans ce domaine. Est-ce que tu peux juste réexpliquer rapidement le principe et comment ça fonctionne ?
Xavier Niffle Exactement. Alors, je te le disais, il y a quelques années déjà, on a commencé à travailler sur un nouveau concept en audit, qu'on appelle le "transaction scoring". Et aujourd'hui, on a développé cette solution avec un partenaire, un éditeur de logiciels, et on l'a déjà déployée chez des dizaines de milliers de clients à l'échelle du monde. Donc, je vais dire, ce n'est plus de la science-fiction, c'est du concret, c'est du quotidien. Alors, en quoi c'est une révolution en audit, en tout cas ? C'est parce que cette solution, elle permet tout simplement l'évaluation des risques, non plus comme avant, au niveau d'un agrégat comptable, comme le chiffre d'affaires, mais directement au niveau d'une transaction. Ça veut dire que chaque transaction de nos clients est passée au scanner à travers d'une quarantaine de points de contrôle. C'est comme si tu emmenais ta voiture au contrôle technique, tu passais ta voiture sur le banc de test et qu'on vérifiait la pression des pneus, le niveau d'huile. Nous, on fait pareil avec les transactions comptables, évidemment, de nos clients. Alors, l'IA a la capacité de mettre en évidence les transactions présentant un comportement atypique, c'est-à-dire celles nécessitant un haut niveau de jugement professionnel de la part de nos équipes pour être bien auditées. Alors, je vais te donner un exemple ou deux. Le premier, c'est que tu audites un restaurant et tu vas voir dans un restaurant, le ticket moyen, par exemple, c'est 50 euros. Et bien là, l'IA va détecter des tickets qui sont très éloignés finalement de cette moyenne. Par exemple, un ticket à 5 000 euros. On pourrait dire que c'est complètement faux, dans un restaurant, on ne peut pas avoir un ticket à 5 000 euros. On ne sait pas, peut-être que c'est faux, peut-être que c'est juste. Il y a peut-être une privatisation pour un anniversaire de ce restaurant. Ça, c'est le type de transaction qui sera capté, on va dire, par la solution. Tu vas me dire, ça c'est un signal faible qui était facilement identifiable, même à la main. On prend Excel et puis on arrive à retrouver l'information. En fait, on a des contrôles qui utilisent des algorithmes d'IA beaucoup plus puissants et qui vont venir détecter tout ce qui déborde finalement du flux normal de l'activité. Alors là, je vais te prendre un autre exemple un peu plus puissant. Dans les très très grandes entreprises, tu parlais tout à l'heure des multinationales, généralement, elles publient leurs comptes très rapidement, peut-être en janvier ou début février. Donc, elles ont besoin d'avoir un process d'arrêté des comptes qui est très rapide, qu'on appelle "fast close". Et pour cela, elles déterminent les écritures de clôture, par exemple, leur provision sur les factures qu'elles doivent émettre juste après la clôture ou les factures qu'elles attendent de leurs fournisseurs au titre de la période d'IT. Ces écritures doivent être comptabilisées très rapidement après la clôture. Et bien l'IA nous permet d'identifier si certaines écritures ne sont pas comptabilisées à un timing anormal. Elles devaient être comptabilisées à J+2, elles sont comptabilisées à J+20. Ça ne veut pas dire que c'est faux, mais ça doit être analysé. Donc, c'est justement ce que notre technologie met en évidence. Et grâce à cette solution, on est en capacité également de l'alimenter tout au long de l'année pour pouvoir faire un audit, comme tu le disais, en quasi temps réel. Et ça, ça apporte beaucoup de bénéfices finalement à nos clients. D'abord, comme tu audites 100% des transactions, tu bénéficies ou tu fais bénéficier à tes clients d'un audit sans angle mort. Ce qui en même temps protège beaucoup plus leur réputation. Et puis aussi, ça permet de concentrer l'effort d'audit sur ce qui compte vraiment, c'est-à-dire les transactions les plus risquées. Et là, on propose un audit qui est à la fois plus intéressant pour nos clients, parce qu'on s'intéresse à ce qu'eux-mêmes trouvent intéressant, et puis aussi pour nos équipes. Et on identifie aussi très tôt les transactions qui présentent un haut niveau de risque, qu'elles soient d'ailleurs d'erreur ou de fraude. Ça, ça permet à nos clients finalement de les adresser au plus vite et de corriger finalement leurs comptes. Et puis enfin, on étale l'effort d'audit tout au long de l'année. Et ça, ça permet à nos clients de ne plus être accaparés par les demandes des auditeurs sur une période très courte. Mais au contraire, ils peuvent mener de front, j'allais dire, nos demandes, mais aussi leur activité. Donc je dirais que l'audit continue avec ce type de technologie, permet tout simplement aux directions financières de ne plus avoir le regard coincé dans le rétro, sur leur clôture, mais qu'elles puissent se concentrer sur les opérations en cours et sur l'avenir, tout en dormant l'esprit tranquille.
Julien Redelsperger Est-ce que tu dirais que l'IA prend le job des auditeurs ? Est-ce qu'on peut dire que l'IA fait le boulot de 3 ou 4 auditeurs en temps réel, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 ? Est-ce qu'aujourd'hui, c'est facile d'être un auditeur à l'ère de l'IA ?
Xavier Niffle
Je dirais que ça n'a... je ne sais pas si c'est facile, mais ça n'a jamais été aussi intéressant. Je vais t'expliquer pourquoi. Parce que nous, on perçoit l'IA comme un copilote. Donc l'IA va adresser les travaux chronophages, les plus rébarbatifs, qui sont souvent perçus comme à faible valeur ajoutée. Alors, ça ne veut pas dire qu'ils sont à faible valeur ajoutée pour l'audit, pour la qualité du dossier et de nos attestations. En revanche, pour nos équipes, aller réconcilier deux documents et le faire 100 fois, 200 fois à la chaîne, ce n'est pas ce qu'il y a de plus fun. On se le dit en toute transparence. Donc tout ce qui est transactionnel, donc l'audit des factures d'achat, des factures à de vente, tout ceci va être complètement automatisé pour que nos équipes puissent se concentrer sur ce qu'il y a de plus intéressant. Et pour moi, ce qui est le plus intéressant en audit, c'est les interactions avec nos clients, être au contact de leurs équipes pour mieux comprendre leurs enjeux, les projets sur lesquels ils travaillent, pour les accompagner dans leur transformation très concrète au day-to-day, au quotidien.
Julien Redelsperger
D'accord, très bien. Et c'est difficile aujourd'hui de parler d'IA sans parler de protection des données personnelles. Ça veut dire que quand une IA analyse les comptes d'une entreprise, ces données peuvent partir sur des serveurs hébergés, parfois ailleurs, sans qu'on sache vraiment bien ce qui se passe. C'est un peu une boîte noire, ces algorithmes. Quel est ton message, toi, aux chefs d'entreprise qui se posent ce genre de questions ? Et puis, comment tu parles du sujet protection des données personnelles et gestion des données plus globalement ?
Xavier Niffle
C'est une très bonne question, Julien. Car en fait, tu l'observes bien, il n'y a pas une journée ou une entreprise, j'allais dire même une minute, où une entreprise ne subit pas une attaque cyber. La protection des données, pour nous, finalement, elle est au cœur de notre ADN. Et on va avoir la même exigence de qualité, de sécurité, avec les données qu'on collecte de nos clients, et on en collecte beaucoup, qu'avec nos propres données. Et j'allais dire les données les plus sensibles, mais finalement, on a choisi d'utiliser nos propres serveurs qui sont localisés dans nos locaux, à la défense, à la tour ECO, et qui sont exploités par nos équipes. Mais au-delà, finalement, et pour adresser le risque cyber, je pense qu'il est important de mettre en place une bonne gouvernance autour des projets IA. Et tu le disais, c'est souvent perçu comme une boîte noire. Et donc, comment faire ? Finalement, je pense que déjà, à la base, il est important de bien inculturer les équipes aux enjeux liés à l'IA, mais aussi aux risques et aux opportunités, parce que ça reste une technologie qui est très émergente. Et c'est justement, j'allais dire, ces aspects, que ce soit gouvernance, sécurité des données, mise en place aussi de procédures de contrôle interne, ce sont ces aspects que nos clients souhaitent être accompagnés, avoir une revue critique de leur projet IA. Et dans l'étude que tu as citée, on a pu observer que 64% des entreprises, dans le monde, souhaitent que leur auditeur évalue très concrètement leur utilisation de l'IA dans la production d'informations financières. Et c'est pour ça qu'on a déployé, on va dire, et développé une méthodologie qu'on appelle Trust Idea. C'est une offre, en quelque sorte, qui permet de s'assurer que toute l'implémentation des projets IA l'a été dans les règles de l'art d'un point de vue gouvernance, données et procédures de contrôle interne.
Julien Redelsperger
D'accord. Donc, ce que j'entends, c'est que les données d'une entreprise qui parte chez vous, par exemple, ne peuvent pas finir sur un serveur d'OpenAI en Californie pour entraîner les nouveaux LLM de ChatGPT, par exemple.
Xavier Niffle
Chez nous, toutes les données sensibles sont dans nos locaux, dans notre tour. Alors, on utilise, ça ne veut pas dire qu'on n'utilise pas ChatGPT, mais on va utiliser une brique de ChatGPT qui nous est fournie par exemple par Microsoft et qui est sécurisée sur des serveurs dédiés à KPMG. Alors, tu parlais tout à l'heure de prévenir et détecter la fraude. C'est un sujet qui est important en matière d'audit, de certification des comptes. Dans une étude KPMG, c'était noté que 70% des entreprises utilisent l'IA pour détecter et prévenir la fraude. Ça veut dire quoi ? Tu peux donner quelques exemples concrets ? Quel type de fraude les IA peuvent détecter ? Et surtout, est-ce qu'elles s'améliorent pour en détecter de nouvelles ? Alors, tu as raison parce qu'aujourd'hui, avec l'IA, c'est super simple de falsifier un document pour, j'allais dire, couvrir une fraude. Et l'exemple le plus médiatique ces derniers mois, c'est une affaire, j'en suis sûr que tu la connais, qui a concerné une célèbre marque de prêt-à-porter. Et tu sais, c'est là où la trésorière a détourné 100 millions d'euros. Alors, je te passe l'histoire des jets privés du penthouse à Miami. En fait, la question, c'est comment elle a pu tromper une grande entreprise française et tromper ses auditeurs. Alors, ce qu'on comprend d'après les médias, parce qu'on n'a pas eu accès au dossier, évidemment, c'est que la trésorière, elle a falsifié des pièces comptables, de faux relevés bancaires, elle a préparé de fausses réponses aux circularisations bancaires préparées par les auditeurs. Et dans ce cas-là, pour se prémunir, j'allais dire, d'un tel scénario, comment on s'y prépare ? Eh bien, on travaille actuellement avec un groupe français des médias qui a, j'allais dire, à peu près les mêmes enjeux, les mêmes risques que nous. On travaille à développer un agent IA qui détecte si une pièce comptable ou un document a été tout simplement falsifié. Alors, l'agent IA, il va également détecter les deepfakes, donc ça, c'est pour le groupe de médias, qui sont trop souvent présents, j'allais dire, sur les réseaux sociaux. Alors, comment ça marche ? L'IA, elle vérifie les métadonnées du fichier, la structure interne, en quelque sorte, du document. Elle vérifie le contexte, la cohérence de l'image, s'il y a des pixels qui ont été rajoutés. Elle regarde les arrière-plans, les polices, tout ceci pour déterminer si le document est authentique ou s'il s'agit d'un fake. Voilà, c'est la technologie qui va nous aider à vérifier s'il y a d'autres technologies qui ont falsifié un document. D'accord. Et ça, sur toutes les pièces comptables, sur tous les documents comptables ? On ne le déploiera pas sur 100% à des documents comptables qui sont fournis par nos clients, parce que ça nécessiterait finalement quelques millions de calculs. En revanche, dès que nos équipes d'audit vont avoir un doute sur un document, elles vont passer ce document, c'est un autre scanner en quelque sorte, je te parlais d'un scanner pour le transaction scoring, là c'est le deuxième scanner qui vérifiera l'authenticité du document, un peu à la manière des billets de banque quand vous allez dans un commerce, il vérifie si le billet est un vrai ou un faux.
Julien Redelsperger
D'accord. La gestion des fraudes, ça peut aussi fonctionner dans le cadre des notes de frais, des frais de déplacement professionnels, c'est souvent un enjeu aussi qui est un peu important pour les entreprises, parce que selon les politiques internes, il peut y avoir aussi un peu de liberté prise.
Xavier Niffle
Exactement, et c'est ce type de solutions qui seront utilisées également en entreprise. D'ailleurs à terme, on proposera pourquoi pas à certains clients non audité, on ne peut pas proposer une solution à des clients audités, pour des questions à l'indépendance d'ailleurs, mais on proposera à d'autres clients nos solutions, nos technologies, parce qu'on est très avancé dans certains domaines, et comme tu le dis, ça peut intéresser les entreprises dans leur quotidien, pour détecter la fraude par exemple.
Julien Redelsperger
Alors tu parlais tout à l'heure du fait que l'IA était là pour accompagner, augmenter les auditeurs, c'est quoi l'équilibre à trouver entre les algorithmes d'IA d'un côté et le bon sens humain de l'autre ? Dans quel contexte l'IA est plus performante que l'humain et vice versa ?
Xavier Niffle
Je dirais qu'aujourd'hui, je m'en aperçois tous les jours en m'achangeant avec mes équipes, avec mes clients, c'est que l'IA, elle fascine tout autant qu'elle inquiète. Elle inquiète parce que souvent en fait, et c'est très naturel, on pense qu'une telle technologie addiscriptive peut finalement remplacer les hommes, les professionnels, et puis qu'on va se retrouver sans job, au chômage. Alors je voudrais qu'on prenne tous collectivement un peu de recul, parce que c'est loin d'être la première technologie addiscriptive qui arrive sur le marché. Moi, ça fait 20 ans que j'ai intégré KPMG, donc j'ai 20 ans d'expérience, et j'ai vu émerger pas mal de technologies qui se voulaient addiscriptives, et je vais t'en citer quelques-unes, ça te fera peut-être sourire. Ça a d'abord commencé avec le RPA, c'est l'automatisation des processus. Ensuite, le data analytics, l'analyse des données de masse, le cloud, il y en a eu beaucoup. Et pourtant, la place de l'auditeur en tant que professionnel, en tant que personne humaine, n'a jamais été aussi centrale dans notre métier. Alors comment l'expliquer ? Je dirais tout simplement que ce que recherchent nos clients, ce qu'ils recherchent avant tout, c'est l'expérience humaine, c'est l'expérience d'audit. Et nous, on considère que cette expérience, elle est digitale pour l'audit des transactions routinières, je te le disais tout à l'heure, l'audit des achats, des ventes. Et en revanche, sur les opérations les plus complexes, et je pense en particulier aux acquisitions, aux grands contrats complexes, aux zones de jugement, d'estimation, ce qui est important, ce qui a de la valeur pour nos clients, et bien sur ces transactions, nos clients, ils ont besoin de professionnels qui ont de l'expérience, qui ont de l'expertise, et qui savent prendre du recul, qui ont tout simplement de la hauteur de vue. Et surtout, ce qu'ils recherchent, et en plus, c'est s'ils peuvent avoir, enfin il faut qu'ils aient confiance, confiance dans des personnes qui parfois les connaissent depuis 10 ans, 20 ans, 30 ans. Et ça, cette confiance, cette expérience, l'IA pourra jamais vous la donner. Alors tu vois, moi je crois beaucoup en l'intelligence qui n'est pas artificielle, mais je crois beaucoup en l'intelligence qui est hybride, c'est-à-dire une intelligence qui sait autant créer de la valeur que créer de l'émotion, et surtout qui s'appuie, encore une fois, sur la confiance qui est le pilier finalement de notre métier.
Julien Redelsperger
Avec le recul, est-ce que selon toi, l'expérience humaine dont tu parles, pour un auditeur, était la même il y a 20 ans qu'aujourd'hui ? Est-ce qu'il y a des différences dans cette approche, justement ?
Xavier Niffle
Tu parles de l'approche d'audit ?
Julien Redelsperger
Je parle de l'expérience humaine en tant qu'auditeur. Est-ce que l'expérience d'audit faite par un auditeur était la même il y a 20 ans qu'aujourd'hui, ou est-ce qu'elle a changé à cause, ou grâce, justement, à toutes ces technologies dont on le dit ?
Xavier Niffle
Alors, le métier, l'audit, a beaucoup évolué ces 20 dernières années,
Unknown Speaker
sous l'impulsion du régulateur et de grandes affaires, en particulier de l'autre côté de l'Atlantique, aux US, on se souvient tous de l'affaire Enron. Voilà, donc le régulateur a renforcé finalement les procédures devant être réalisées par les commissaires au compte, enfin par les auditeurs, et on est rentré dans un monde, j'allais dire, où la compliance prenait le pas sur l'expérience humaine. Et c'est là où la technologie, finalement, a permis de craquer ce constat, puisque tout ce qui est compliance, la technologie en particulier, l'IA, permet de le faire. Et on revient progressivement à ce qui manquait peut-être dans notre métier il y a quelques années, c'est-à-dire cette expérience, parce que, comme je le rappelais, nos clients, ce qu'ils attendent avant tout, c'est qu'on puisse partager avec eux ce que le marché préconise, ce qu'on a pu observer chez d'autres acteurs. Ils ont besoin de confiance dans les réponses qu'on peut leur apporter. Et bien entendu, je ne suis pas sûr d'avoir aussi confiance dans une techno, dans les réponses de l'intelligence artificielle, que dans les réponses de nos professionnels qui ont 20 ans d'expérience.
Julien Redelsperger
Je comprends. C'est intéressant ce dont tu parles, parce que finalement, quand on parle d'IA, il y a un sujet clé également dont on parle souvent, c'est le sujet des hallucinations. En deux mots, c'est quoi une hallucination ? C'est le fait que l'IA invente des faux noms, fausses informations, fausses données, avec une conviction qui est parfois assez surprenante. Si demain, il y a une erreur avec des données financières, si elle souligne des choses qui n'existent pas, ou si elle invente des données, ou si elle manipule des données, qui est responsable ?
Xavier Niffle
C'est un bon point. C'est une bonne question. Je crois que la réponse, c'est tout simplement de dire que nous, on ne considère pas l'audit comme le secteur de l'automobile. Dans le secteur de l'automobile, quand une voiture autonome a un accident, là, on peut légitimement se poser la question de qui est responsable. Est-ce que c'est le constructeur ou est-ce que c'est le conducteur ? Moi, je pense que cette question, elle ne se pose pas dans notre métier, dans l'audit, car on considère que le dernier kilomètre de tous nos travaux, de toutes nos diligences d'audit, doit systématiquement passer dans les mains de nos professionnels, de nos équipes. On considère, chez KPMG en tout cas, que l'IA doit fonctionner comme un copilote au service de nos équipes. C'est-à-dire qu'on ne croit pas du tout à un audit 100% automatisé. Et pour ça, je vais te raconter, enfin, j'aurais partagé avec toi une de mes récentes expériences qui va bien illustrer cela. Alors, l'un des meilleurs cas d'usage, je te le disais tout à l'heure de l'intelligence artificielle, dans notre métier, dans l'audit, c'est la recherche et documentaire. Et on a créé un agent, l'IA, qui permet d'analyser un contrat ou une transaction complexe. Elle propose, en quelque sorte, le bon traitement comptable en s'appuyant uniquement sur nos ressources documentaires. Par exemple, en tant que ressource, on a une interprétation des normes comptables internationales, donc il y a des IFRS propres à KPMG. Il y a quelques mois, je recevais un client à la Tour ECO, à la Défense, dans nos locaux. Et en particulier, notre espace est dédié à l'innovation. On lui présentait nos différentes solutions, celles sur le transaction scoring, mais aussi tous nos agents IA sur lesquels on travaille, dont cette version qui permet de la recherche et documentaire. Et je lui demandais, est-ce que tu as une question technique pour laquelle tu souhaiterais avoir une réponse ? Évidemment, cette personne avait une question, on l'a passée dans notre agent, et l'agent, en trois secondes, a fait une réponse. Et je lui ai dit, attends, la réponse, on ne va pas la prendre comme argent comptant, c'est le propos de ta question, mais au contraire, je vais l'envoyer à notre cellule technique, qui est composée de professionnels qui ont parfois 30 ans d'expérience et qui ont envie de passer des questions, pour vérifier si cette question est bien exacte. Et bien, notre cellule technique nous a répondu que la réponse de l'intelligence artificielle, donc de notre agent IA, n'était pas fausse, elle n'était pas incorrecte, mais elle était incomplète. Elle l'a complétée. Alors ça, ça veut bien dire que la technologie, ce n'est pas infaillible, moi j'allais dire, d'être professionnel, personne n'est infaillible. En revanche, ça montre bien que la valeur, elle n'est pas dans les 90% qui seront complètement automatisés, mais elle est vraiment dans le dernier mile, en quelque sorte, le dernier kilomètre, celui qui va être adressé par nos auditeurs et qui vont vérifier ce que la techno va produire, et puis la corriger et proposer une réponse de qualité à nos clients ou à nos équipes.
Julien Redelsperger
Est-ce que tu as déjà travaillé ou entendu parler d'entreprises, des chefs d'entreprise qui disent "ah non, non, moi l'IA, surtout, je ne veux pas en entendre parler, vous auditez mes comptes, mais je ne veux pas que vous touchiez à l'IA avec mes comptes". Est-ce que ça existe ?
Xavier Niffle
Alors non, je pense que nos clients sont curieux, ils ont une certaine appétence pour la technologie, en particulier pour l'intelligence artificielle. Tu sais, en France, depuis trois ans, on ne parle que de chat GPT, enfin on ouvre les médias dans n'importe quelle chaîne, il n'y a pas une journée, on ne te cite pas le nom, et de chat GPT, et de tout ce que peut faire, ou de tout ce que fera demain, chat GPT. Donc c'est vrai qu'il y a une certaine curiosité. Ça ne veut pas dire que tous nos clients utilisent au quotidien l'IA, mais ils s'y mettent progressivement, et ils sont très curieux et très contents que leur partenaire de confiance, donc leur auditeur, déploie des solutions. Alors ils sont aussi très prudents quant à l'utilisation de leurs données, les données de leur entreprise, et c'est pourquoi on doit leur apporter le niveau de confort sur la sécurité, en quelque sorte, des données qui nous sont fournies. Et c'est ce que je t'expliquais tout à l'heure, nous, les données les plus sensibles, on les prête à la maison, en quelque sorte.
Julien Redelsperger
D'accord. Est-ce qu'il y a des prérequis nécessaires pour qu'une entreprise puisse analyser ou faire analyser ses comptes avec l'IA, en termes de déploiement ? Est-ce qu'il y a des manipulations à faire côté entreprise ou tout se fait côté KPMG, côté auditeur ?
Xavier Niffle
Nous, on récupère, pour alimenter nos solutions à base d'IA, les mêmes données qu'on récupérait il y a 5 ans ou il y a 10 ans. Ça va être un grand livre avec l'ensemble des écritures comptables. Et évidemment, plus la qualité de l'information collectée sera fine, plus on aura de détails finalement et qu'on aura accès à toutes les activités liées à la comptabilité, plus on va pouvoir approfondir nos analyses et proposer à nos clients cette fameuse nouvelle expérience d'audit, c'est-à-dire leur apporter un regard nouveau sur leurs transactions, sur leur environnement de contrôle, finalement, au sens large, sur leur organisation. Donc, j'allais dire, on s'adapte à la disponibilité, à la qualité de l'information disponible. On part, avec tous nos clients, on arrive à leur proposer, on va dire, un certain degré d'audit digitalisé. Et puis, plus ils sont équipés, plus ils ont un niveau de maturité qui est élevé en matière d'IA et de données, plus on va pouvoir leur apporter de la valeur.
Julien Redelsperger
D'accord, très bien. Mais écoute, merci beaucoup. Xavier, peut-être une dernière question, parce qu'on sait que KPMG, comme tous les grands cabinets d'audit, recrutent beaucoup d'étudiants futurs diplômés au sein des écoles de commerce et des écoles de management en France. Petite question pour eux, sans doute. Qu'est-ce que l'IA va changer pour ces futurs diplômés d'école de commerce ? Et surtout, quel message est-ce que tu souhaiterais leur faire passer ?
Xavier Niffle
Tu sais, j'envis beaucoup ces nouvelles générations qui vont rejoindre le marché du travail dans les mois, dans les années à venir, parce qu'on vit quand même l'émergence d'un nouveau monde, en quelque sorte. Alors ce que j'aimerais leur dire, c'est déjà un, de ne pas avoir peur, parce que pour moi, le monde de demain sera plus intéressant que le monde d'hier, ou ne serait-ce que le monde d'entreprise, j'entends, que j'ai découvert il y a 20 ans en intégrant le cabinet. En tout cas, il sera meilleur et plus intéressant pour tous ceux qui savent s'adapter. Et contrairement à ce qu'on pourrait croire, je dirais que l'IA dans l'audit va renforcer, je te le disais, les relations humaines, d'ailleurs tant avec nos clients qu'au sein même du cabinet. Toutes les tâches administratives, toutes les tâches rébarbatives vont être totalement automatisées. Et ça, ça veut dire qu'on va pouvoir aller un grand plus loin dans la relation avec nos clients et vraiment se concentrer sur ce qu'il y a de plus intéressant dans notre métier, c'est-à-dire les interactions avec nos clients, la fameuse relation humaine. Donc on n'est pas en train de créer un audit robotisé, mais au contraire un audit profondément humain. La preuve, c'est qu'on n'a jamais recruté autant de profils, autant de candidats que cette année. Alors je dirais quand même également que les profils et les candidats qu'on recrute ne sont pas tout à fait les mêmes que les profils d'il y a 20 ans. On a élargi en quelque sorte le terrain de jeu de nos équipes et aujourd'hui, ils travaillent sur des sujets peut-être davantage d'data, davantage liés, comme tu le disais, à l'intelligence artificielle. J'ai un exemple, on apporte du confort, de la confiance, aussi sur les solutions d'IA ou les projets IA qui sont utilisés par nos clients. Et dans ce contexte, on a de plus en plus besoin de profils type ingénieur, d'être analyste. Donc je dirais qu'en résumé, l'audit de demain, c'est un métier en quelque sorte 2.0 qui est complètement en phase avec son époque, avec le 21e siècle, et qui est surtout intellectuellement hyper stimulant. Et où, et c'est pour moi le plus important, la relation humaine occupe la place centrale. D'accord. Donc l'auditeur, nourri, piloté, copiloté à l'IA, ça reste un métier d'avenir ? Ça reste pour moi plus que jamais un métier d'avenir. Un métier d'avenir pas pour nous et les cabinets, un métier d'avenir pour l'économie mondiale.
Julien Redelsperger
Merci beaucoup Xavier.