L’IA dans l’ombre des écrivains
L’intelligence artificielle peut-elle devenir un outil indispensable pour les écrivains, ou risque-t-elle d’effacer leur rôle unique dans la création littéraire ? Dans cet épisode, Bertrand Misonne, chercheur en intelligence artificielle et auteur du roman Le nouveau Michel H., partage avec vous sa double perspective d’écrivain et d’expert en IA. Vous découvrirez comment ces technologies s’intègrent dans le processus d’écriture : sont-elles de simples outils de soutien, ou bouleversent-elles en profondeur la manière de créer ? Bertrand évoque des questions essentielles : l’IA peut-elle véritablement "écrire à la manière de" grands auteurs comme Houellebecq ou Camus ? Quelle place reste-t-il pour la créativité humaine dans un monde où les algorithmes peuvent générer des textes impressionnants en quelques secondes ? Cet échange vous invite aussi à réfléchir à l’avenir de la littérature, à l’évolution des attentes des lecteurs et à l’impact de ces innovations sur le rôle de l’écrivain.
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Bertrand Misonne est un gars ordinaire, il a la quarantaine active, une famille, un job de chercheur en Intelligence Artificielle… pourtant il s’évertue à écrire des histoires emplies d’humour et de tendresse. Est-ce parce qu’il vient de Charleroi (Belgique), « la ville la plus moche du monde » ? Le nouveau Michel H. (Edern Éditions, 2024) est son deuxième roman, après le remarqué Été 99 (Académia, 2023).
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Bertrand Misonne
Chercheur en Intelligence Artificielle et écrivain
Julien Redelsperger : « Et pour cela j'ai le plaisir d'être accompagné par Bertrand Misonne qui est chercheur en intelligence artificielle et écrivain. Originaire de Belgique, il vient de sortir Le nouveau Michel H. aux éditions Edern qui est son deuxième roman, après le remarqué Été 99 paru en 2023. Aujourd'hui, nous allons donc parler d'IA évidemment, mais de l'IA en lien avec la créativité littéraire. Après tout, l'IA a tout vu mais n'a rien vécu, et pourtant elle est partout et impacte tous les métiers de la création. Comment écrire un livre à l'ère de l'IA ? Que faire d'une IA ? Directrice artistique, scénariste, voire productrice ? Que dit l'IA de notre société et comment influence-t-elle notre culture et notre représentation du monde ? On va parler de tous ces sujets et de bien d'autres. Bonjour Bertrand, merci de participer à cet épisode d'AI Experience. Comment vas-tu ? »
Bertrand Misonne : « Ça va très bien, merci en tout cas pour l'invitation et je me réjouis d'échanger pendant cet épisode sur ce sujet qui me tient particulièrement à cœur. »
Julien Redelsperger : « Merci de ta présence Bertrand. Alors, l'IA, on parle surtout beaucoup d'IA générative en ce moment et de ChatGPT. Aujourd'hui, on a un peu l'impression qu'en utilisant ces outils, n'importe qui peut devenir écrivain. Est-ce que c'est difficile d'être un écrivain, un vrai, en 2025 ? Et comment est-ce que toi, tu intègres justement ces outils et ces changements technologiques dans ton travail ? »
Bertrand Misonne : « Alors, premièrement, attention, c'est le genre de questions qui pourraient fâcher beaucoup de mes collègues écrivains. Et ce n'est pas une blague, j'ai déjà eu des conversations assez houleuses sur le sujet, mais effectivement, j'ai la chance d'avoir la double casquette, chercheur en IA et auteur de romans. Donc, c'est vrai que là-dessus, je peux peut-être plus facilement garder mon calme et avoir une réponse qui est digne d'intérêt, puisqu'elle n'est pas excessive, on va dire. Donc, moi, je vois deux questions dans cette question. Premièrement, est-ce que ChatGPT peut faire de n'importe qui un écrivain ? Et ça, c'est vrai qu'on le voit sur les réseaux sociaux, des pubs qui passent là. "ChatGPT va vous rendre riche et célèbre en cinq minutes, vous ne vous fatiguez pas, il n'y a qu'à payer l'abonnement." Évidemment, on comprend tous d'instinct que ce n'est pas si simple, mais malgré tout, je trouve qu'il y a déjà beaucoup de matière à débattre sur cette question. Est-ce que finalement, l'IA générative, avec ses pouvoirs bluffants, nous donne des super pouvoirs pour devenir un écrivain ? Et cette question, justement, je la traite dans le roman que vous avez cité, Le nouveau Michel H., parce que je trouve que c'est intéressant d'explorer sous la forme d'une fiction, de faire une fable, en fait, où justement tout se déroule, tout semble aller dans ce sens-là, et puis, et puis, et puis. Donc, j'invite évidemment les auditeurs à se faire leur propre opinion sur cette question du "ChatGPT peut-il transformer un quidam en écrivain ?" en lisant le bouquin. Bon, maintenant, il y a un autre enjeu, je pense, qui est très important, c'est que c'est au lecteur de trancher à la fin. C'est-à-dire, et là aussi, moi, je reste calme par rapport à ce genre de questions provocantes, mais par contre, ça a le don de m'énerver quand on a une vision manichéenne avec l'IA ou sans l'IA. Je pense que c'est une guerre perdue d'avance, que la technologie est là et les gens s'en serviront, mais ça ne veut pas dire qu'il n'y aura plus d'humains écrivains. Donc, pour moi, la question qui est en fait votre deuxième sous-question, c'est qu'est-ce que ça signifie d'être écrivain à l'heure de l'IA générative ? Justement, c'est quoi un écrivain ? Quelles sont les qualités intrinsèques à un écrivain, indépendamment de la technologie utilisée pour écrire un livre ? C'est quoi ? On parle de créativité, j'imagine, principalement ? Ce qui est bien, moi, ce que j'adore avec la littérature, c'est qu'elle est riche et diverse et d'ailleurs, elle a des vertus différentes. Donc, moi, si je réponds à la question en tant que lecteur, j'adore les bouquins qui donnent un sens à ce que je vis, à ce que je vois. J'aime beaucoup la littérature qui explique, que ce soit des classiques ou que ce soit des romans contemporains, mais des romans qui dépeignent notre époque. Donc, j'aurais envie de dire à ce moment-là, un bon écrivain, c'est quelqu'un qui a un regard aiguisé sur le monde qui l'entoure et qui arrive à mettre en fiction, à nous raconter des histoires qui font sens. Je ne sais pas, il y en a d'autres qui vont dire "moi, j'aime bien lire pour me faire peur" ou "j'aime bien lire pour oublier que je m'ennuie". Voilà, je crois qu'à ce moment-là, ce seront des qualités différentes. Ce qui, malgré tout, pour moi reste, je pense qu'un bon livre, en général, c'est un livre qui a un propos. Et donc, je pense que l'écrivain, c'est quelqu'un qui arrive à traduire un propos, une impression, un sentiment, un slogan en une histoire puissante qui fait sens. Et dire ça, c'est déjà effectivement nuancer le propos de l'IA qui pourrait écrire un bouquin et qui n'a rien à faire. »
Julien Redelsperger : « D'accord. Mais en quoi l'IA générative s'inscrit dans cette démarche d'écriture ? ChatGPT a été lancé en novembre 2022, on est en 2025 aujourd'hui. Est-ce que tu as vu des changements dans la manière dont tes collègues écrivains, peut-être, appréhendent ces outils technologiques ou les rejettent, au contraire ? Et plus globalement, comment ? Déjà, est-ce que l'IA doit s'intégrer dans ce processus de création littéraire ? Et si oui, comment ? »
Bertrand Misonne : « Alors, d'abord, par rapport à ce que j'observe, il y a, de manière pas du tout surprenante, un très, très long processus d'intégration de l'innovation dans la société en général et dans le monde du livre en particulier. Donc, là où nous, les chercheurs, les experts, les podcasters, les enthousiastes du numérique, on va dire, pour nous, c'est déjà de l'histoire ancienne, il y a encore beaucoup de gens qui découvrent tout simplement ChatGPT. Et comme toujours, ChatGPT et les autres services, mais c'est vrai que ça reste toujours un peu le service phare, on va dire. Alors, c'est vrai que là-dessus, comme toujours, les late adopters, peut-être, sont plus influencés par les mythes et légendes qu'il y a autour de l'innovation. Donc là, il y a toute une question, je pense, par rapport à l'approche de l'IA par un auteur, de son a priori, on va dire, par rapport à l'outil qui peut être influencé par des tas de facteurs, pas forcément l'âge, pas forcément des catégories, on va dire, qui tomberaient sous le sens. Je pense qu'il ne faut pas être spécialement un alpha geek pour savourer un peu les qualités et mesurer les défauts, d'ailleurs, des IA génératives. Mais enfin, c'est un autre débat. Mais j'adore voir des gens découvrir l'IA. Dans mon job de chercheur, je le fais énormément et on en apprend énormément sur l'IA à travers le regard des autres. Mais pour revenir à l'utilisation de l'IA en littérature, c'est une question en part entière. Moi, on me demande de plus en plus de donner des petites formations, des petits modules de cours, des petits trainings là-dessus, parce qu'il y a vraiment beaucoup de manières d'utiliser de manière créative l'IA générative. Et là, je trouve que le métier d'écrivain ne fait pas forcément exception. Moi, ce que je vois, comme dans d'autres métiers, c'est le processus d'idéation, donc brainstorming. Il y a le processus de production, on va dire, comme un publicitaire va travailler son slogan avec ChatGPT. Ici, on peut avoir des recours à des modèles de langage pour des parties bien précises. Et puis, voilà, c’est en tout cas les deux grandes catégories. Je pourrais développer plus en avant si on veut. »
Julien Redelsperger : « Est-ce que toi, tu as utilisé l'IA générative pour l'écriture de tes deux livres ? »
Bertrand Misonne : « Déjà, pour le premier, c'est un non catégorique. Il a été publié, effectivement, début 2023, mais avec les temps éditoriaux, il a été achevé d'écrire globalement en février 2022. Donc in tempore non suspecto, on va dire, même s'il y avait déjà "GPT-2", etc. Mais ce n'était pas du tout le projet. Ce n'était pas du tout l'esprit. Et donc là, pas du tout. Pour Le nouveau Michel H., j'ai envie de dire, c'est plus ambigu. Tout simplement parce que je laisse le lecteur découvrir à quel point l'IA a été utilisée ou pas pour le roman. Il faut savoir que c'est un roman où il y a une mise en abyme, puisque c'est un roman qui parle d'un roman écrit avec l'IA. Donc, ça s'appelle Le nouveau Michel H. parce qu'en fait, l'intrigue tourne autour d'une intelligence artificielle qui aurait été entraînée pour imiter le célèbre écrivain Michel Houellebecq. Et donc, ça fait complètement partie de l'intrigue. Donc, bien sûr, l'IA est au cœur du roman. »
Julien Redelsperger : « On a vu dans beaucoup d'outils d'IA, je pense notamment aux générations d'images type "MidJourney", etc., que c'était relativement facile de créer des images dans le style de, tu sais, une image dans le style de Van Gogh, de Picasso, etc. Est-ce que, quand on écrit un livre, c'est facile, tu parlais à l'instant de Michel Houellebecq, de se dire "je voudrais écrire un livre dans le style de Zola, Houellebecq" ? »
Bertrand Misonne : « C'était vraiment le point de départ de ma démarche avec Le nouveau Michel H.. Au départ, comme je disais, c'était plus pour une formation pour des écrivains en herbe. Et donc, j'avais fait l'exercice de deviner dans mon prompt, justement, dans le style de quel écrivain j'avais demandé. Donc, c'était une histoire toute simple en disant, voilà, un type se lève le matin, il boit son café, on sonne à la porte et là, boum, surprise, invente, s'il te plaît, le prénom du personnage et ce qu'il y a derrière la porte dans le style de, et j'avais pris Houellebecq, Vian et Camus. Et c'était, comme on dit souvent, bluffant. C'est vraiment un terme, je ne sais pas pourquoi, qui revient toujours, une épithète qui revient toujours pour les résultats. C'était bluffant, je dirais parce qu'il y avait vraiment des marqueurs. On voyait bien que ça avait tout lu de ces auteurs-là et avait compris un peu leur manière de penser et d'écrire. Après, c'est bluffant au premier regard, mais quand on réfléchit plus près, quand on regarde phrase par phrase, quand on analyse, on se dit mais en fait, ces trois écrivains renommés n'écrivaient pas exactement comme ça. Il y avait quand même malgré tout des tournures de phrases. Donc je dirais finalement, et c'est très intéressant de nouveau, alors là c'est le chercheur IA qui reprend la parole, par rapport aux limites, à la manière de fonctionner de ces grands modèles de langage, c'est comme si c'était du français littéraire de grande qualité, qui allait rechercher les thématiques propres à l'écrivain et qui, grosso modo, de temps en temps, mettait une petite pincée de sel qui faisait dire qu'il allait chercher une métaphore dans le style d’eux, etc. Par exemple, pour Vian, je me souviens qu'il avait décrit son héros comme "ni trop grand, ni trop petit". Je trouve que c'est typique un peu de Vian. Ah, il y avait "que de la poésie dans le regard", c'était quelque chose comme ça. Et c'est quand même un peu bluffant, un peu sympa de prime abord. Donc moi ce que j’en conclus, c’est que, voilà, de nouveau le côté push-button, on n’y est pas encore, mais on pourrait y être. Dans Le nouveau Michel H., j’ai cette idée : est-ce qu’un écrivain peut survivre si son talent est bien ingurgité par une IA ? Est-ce qu’on pourra continuer à faire du Houellebecq sans Houellebecq grâce à une IA houellebecquienne ? C’est une question amusante, c’est un exercice de pensée amusant, en tout cas pour nous, peut-être pas pour lui, ni pour ses avocats qui s’occupent de sa propriété intellectuelle. C’est un autre débat évidemment qu’il ne faut pas avoir peur d’aborder dans cette question d’IA créative "à la manière d’eux". Et pour conclure là-dessus, parce que je pense que c’est important, malgré tout, une force des IA génératives que j’ai observées aussi dans des use cases complètement professionnels et sérieux, c’est quand même sa capacité à personnifier, à impersonner. D’ailleurs, c’est un peu dans les cours de prompt, on dit toujours, n’hésitez pas à dire : "vous êtes un créatif, vous êtes un copywriter créatif, et vous êtes un community manager qui doit gérer un groupe de retraités du sud de la France". Mais ça l’aide vraiment à bien fonctionner. Donc je pense qu’il y a quelque chose aussi de très intéressant par rapport au regard humain qu’on peut porter sur ces technologies, sans les humaniser bien sûr, mais cette capacité à se projeter dans un univers mental, je trouve ça fascinant. »
Julien Redelsperger : « D’accord. Il y a quelques années, je vais essayer de ne pas dire de bêtises, mais je crois que c’est le New York Times qui avait sorti une étude qui disait que 81 % des Américains rêveraient d’écrire un livre, rêveraient d’être écrivains. Ma question pour toi, c’est de savoir si ces nouvelles technologies, IA générative en tête, faciliteraient ce travail et auraient tendance quelque part à abaisser les barrières à l’entrée, parce qu’on sait qu’écrire un livre, ça peut prendre du temps, ça peut être très compliqué. Il faut l’idée, il faut savoir écrire. Est-ce que tout ça, finalement, c’est encore nécessaire à l’ère de l’IA générative ? Et est-ce que ces 81 % de personnes qui souhaitent être écrivains, finalement, pourraient le devenir aujourd’hui avec l’IA ? »
Bertrand Misonne : « En tout cas, c’est la promesse de ceux qui vont vendre des solutions littéraires basées sur l’IA. Il faut savoir que les correcteurs orthographiques professionnels type Antidote, très utilisés par les écrivains, intègrent déjà des fonctions d’IA générative. Moi, personnellement, je vois ça comme un continuum. Et c’est aussi mon avis de chercheur, c’est-à-dire la révolution de ChatGPT, je n’ai pas peur de l’appeler comme ça parce que ça a capturé l’imagination avec cette IA conversationnelle. Mais je veux dire, voilà, l’IA termine déjà nos SMS pour nous depuis un bout de temps et avec des capacités de calcul fort limitées. Voilà, c’est ça à une plus grande échelle. Je pense que, par rapport à produire un roman, je pense que de toute façon, c’était déjà vachement plus facile en 2020 qu’en 1950, avec une machine à écrire ou même en 1800 avec une plume d’oie et compagnie. Donc, en dehors de l’aspect purement technique, papier, machine à écrire, etc., le traitement de texte est quand même beaucoup plus confortable. On peut s’effacer, se corriger sans cesse. Il y a toutes les aides qui existaient déjà, chercher des synonymes, etc. Donc, moi, je pense qu’il y a vraiment un continuum à ce niveau-là. Et finalement, la production de texte n’est qu’une partie du travail de l’écrivain. Par contre, baisser les barrières, et le livre a ce statut spécial, ce n’est pas le seul, mais d’être un objet culturel et un objet commercial en même temps. Mais donc, si on parle vraiment business, c’est plus facile d’écrire un livre. Techniquement, pratiquement, ça prend moins de temps. Donc, il y en aura encore plus et, entre guillemets, ça déprécie la valeur qu’on attribue à un livre. Mais de nouveau, cette tendance-là, elle existe déjà depuis longtemps. C’est-à-dire, sans doute que dans les années 50, 60, on pouvait dire de quelqu’un "il est extrêmement intelligent, il a même écrit un livre". Aujourd’hui, ce n’est pas ridicule de dire ça. On se rend bien compte qu’il y a quand même vachement beaucoup de gens qui sont capables d’en écrire un. Et d’ailleurs, il y a tout cet aspect de la longue traîne, des petits livres qui se vendent peu par rapport au mythe de la grande littérature qu’on a encore. »
Julien Redelsperger : « Ce que tu dis, Bertrand, est justement intéressant parce qu’on a l’impression que quand on se place un peu dans la peau du lecteur, on fait face aujourd’hui, notamment sur Amazon, à une espèce d’inflation de contenus. Il y a de plus en plus de contenus de livres, d’ouvrages qui sont publiés, parfois auto-édités ou auto-publiés. Comment est-ce qu’on fait pour choisir les livres à lire ? Et comment est-ce qu’en tant que lecteur, on s’y retrouve dans cette jungle où c’est pratiquement plus rapide d’écrire un livre que de le lire ? »
Bertrand Misonne : « Oui, alors là aussi, je vais plaider que c’est déjà un phénomène qui s’observait avant. Tu as parlé de l’auto-édition, qui est aussi rendue possible par d’autres technologies beaucoup moins sexy que l’IA générative, mais tout aussi efficace pour nous permettre d’avoir toujours plus de livres disponibles à consommer. Il y a deux choses. Il y a le côté, la valeur qu’on donne aux livres. Et donc là, j’en reviens à ce que je disais tout à l’heure. Ça déprécie un peu la valeur du livre en général, puisqu’il est moins rare. Mais donc, il reste toujours le même problème là-dessus. Que lire ? Comment avoir une espèce de certification qu’un livre est bon ? Et là, c’est très intéressant ce qui est en train de se passer. C’est-à-dire qu’il y a, par exemple, tout ce shift vers les réseaux sociaux, vers la lecture, l’aspect communautaire, s’identifier aux réseaux sociaux. J’imagine que c’est pareil dans toute la francophonie. J’étais l’autre jour à un salon littéraire et il y avait un raz-de-marée de lecteurs qui venaient pour les auteurs de New Romance et avec des chariots entiers de livres, avec des petits cœurs, etc. Voilà, c’est incroyable. Et c’était des livres qui coûtaient très cher et c’était des gens qui en achetaient plein et qui n’avaient pas forcément les moyens. Donc, il y a vraiment un engouement énorme, en fait, par rapport à d’autres formes de littérature, tout simplement parce que les règles du jeu ont changé, les règles de validation ont changé. Elles se sont rapprochées finalement de celles des réseaux sociaux. Là aussi, dans Le nouveau Michel H., je me suis fait plaisir en mettant aussi ça en scène avec une influenceuse qui rentre dans la bataille à un moment donné et qui bouscule effectivement ces vieilles hiérarchies bourgeoises où c’est le critique littéraire, si possible parisien, qui décide ce qui est intelligent, ce qui ne l’est pas, ce qui est intéressant, ce qui ne l’est pas, ce qui est important, ce qui ne l’est pas. Ça, c’est fini maintenant. C’est la nouvelle génération qui prend le pouvoir. Donc voilà, c’est un phénomène qu’on observe ailleurs, pour le meilleur et pour le pire, je veux dire. Mais soyons ouverts. Il n’y a pas que le Goncourt et il n’y a pas que les journalistes parisiens qui peuvent lire et conseiller des livres. »
Julien Redelsperger : « Est-ce que, alors toi, tu as la chance d’être édité par un éditeur, évidemment, mais est-ce que quelque part, à un moment donné, l’auto-édition a traversé ton esprit ? Est-ce que tu t’es dit "ce livre que j’ai écrit, je vais m’en occuper moi-même de A à Z" ? »
Bertrand Misonne : « Non, ça ne m'intéressait pas pour de multiples raisons, mais il y en a une qui est toute simple, c'est qu'en fait, c'est chouette de travailler en équipe. Moi, personnellement, en plus, j'ai la chance de travailler en binôme avec un ami d'enfance qui est aussi écrivain et qui est romaniste de formation, donc qui connaît la langue française comme je connais le langage Python. Donc, ça aide. Et on va dire, pour moi, c'est important. Donc, je voulais m'appuyer sur une structure. En plus, c'est peut-être un peu une pudeur d'artiste surannée d'un siècle dernier, mais je trouvais que ce n'était pas mon rôle spécialement de faire le côté commercial, le côté "lisez mon livre". Ça me gêne un peu. Voilà, maintenant, je le fais quand même. La promo, c'est chouette et on rencontre des gens, mais il faut... Voilà, je ne voulais pas ça. »
Julien Redelsperger : « D'accord. Comment tu équilibres ton temps entre ton travail de chercheur en intelligence artificielle, ton travail de romancier, puis j'imagine que tu as aussi un travail de veille, intelligence économique, voir un peu ce qui se fait, les tendances, etc. Comment tu arrives à concilier tout ça ? »
Bertrand Misonne : « Oui, je dirais que schématiquement, j'ai mon job de jour et j'ai mon job de nuit. Donc, la littérature, c'est la nuit et ça s'y prête bien. Donc, tant mieux, surtout dans ma manière de créer. Moi, j'aime bien les états un peu de semi-conscience pour permettre d'être le plus créatif possible. »
Julien Redelsperger : « Est-ce que ces deux mondes sont imperméables ou est-ce que quelque part, ton travail, ton état d'esprit de romancier influence ton travail de chercheur et vice versa ? »
Bertrand Misonne : « Alors, ils étaient, au départ, imperméables. C'est pour ça, d'ailleurs, que j'ai pris un nom de plume, qui est le nom de mon épouse, d'ailleurs. C'était un petit clin d'œil. Donc, c'est mon nom d'époux, on va dire, Mison. Mais je dirais que le plus important, c'est... Oui, je voulais que ce soit étanche. Enfin, je pensais que ça devait être étanche. Et en fait, je me rends compte qu'avec Le nouveau Michel H., ça m'est un peu tombé dessus. Le sujet m'est tombé dessus comme la foudre. J'étais à fond et je suis toujours dans le côté vraiment plus comme recherche et business de l'IA générative. Et puis, voilà, je me suis dit, c'est comme si justement les deux, les deux Bertrand, le chercheur et le romancier, s'étaient rencontrés, qu'ils avaient une discussion complètement dingue et que là-dessus, on a eu ce roman. Donc, ils se sont rencontrés. Et maintenant, je me rends compte que ça passe dans l'autre sens aussi, puisque mes collègues de mon boulot de jour savent que je suis romancier. Et parfois, aux réactions, dans des propos que je peux avoir en réunion, ils disent "Ah, mais ça, c'est bien. On voit quand même que tu es romancier. Ça aide pour faire ce genre de proposition à l'équipe. Merci." Et alors que c'est, voilà, je pense que, comme toujours, on n'est pas étanche. Donc, tant mieux. »
Julien Redelsperger : « D'accord, parfait. Alors, si on parle un peu plus d'IA en particulier, j'imagine qu'on t'en parle également beaucoup. C'est l'objet de ce podcast. Est-ce qu'il y a des mythes autour de l'IA que tu trouves soit fascinants, soit problématiques dans les discours qu'on peut entendre sur les réseaux sociaux, à la télévision ou dans le monde littéraire ? »
Bertrand Misonne : « Alors, ce qui est fascinant, d'abord, c'est qu'on est vraiment en train d'assister à l'avènement de ce que, finalement, on imaginait dans la science-fiction qu'on lisait quand on était plus jeune. Si on relit Asimov, par exemple, avec son multivac qui revient dans beaucoup de romans, c'est une IA connectée, un peu omnisciente, qui va, quelque part, aider à la décision. Et je trouve qu'on s'y dirige très, très vite. Il y a beaucoup de use cases, d'ailleurs, dans l'IA générative, qui remettent au goût du jour des use cases du big data, mais avec une couche aussi, justement, beaucoup plus directe d'aide à la décision, d'analyse, je vais dire, clé en main ou en tout cas conversationnelle. Donc, ça, ça me fascine.
Et l'autre, l'IA que j'appellerais incarnée, les robots, les agissants, donc des agents, qui, quelque part, ont un but, qui sont alignés pour faire quelque chose, qui ont un code de conduite, et ça, ils sont en train d'arriver aussi. Donc, je trouve ça fascinant de se dire, à l'échelle d'une vie d'homme, de la science-fiction complètement dingue, qui a été écrite il y a quelques décennies, est en train de prendre forme. Une autre chose qui me fascine, c'est à quel point, sans anthropomorphiser l'IA, mais à quel point les métaphores et les analogies avec l'intelligence humaine sont fécondes. Et donc, c'est ça que j'adore. Moi, je dis toujours, alors il y en a beaucoup, quand on commence une discussion, qui disent "Oui, mais moi, je ne suis pas expert, etc. Il faut que vous m'expliquiez." Je dis non, vous avez tous les outils pour comprendre comment ça marche. Ça parle, ça sait et ça raisonne. Simplement, ça ne le fait pas tout à fait comme nous. Mais accrochez-vous à ce que vous comprenez, et vous allez voir, ça va aller tout seul. Donc, ça, c'est le côté fascinant.
Alors, pour parler du côté sombre, du côté nuisible, je pense qu'on est trop bercé par le mythe collectif que ce sont des machines, et donc, elles sont forcément vecteurs d'objectivité, de rationalité. Et quelque part, elles vont rendre le monde plus raisonnable, plus sage, de par leur nature même numérique. Je pense que ça, c'est une grave erreur. D'abord, tout simplement, parce qu'elles sont alignées, elles sont conçues pour suivre certaines valeurs et certains buts qui sont celles de leurs créateurs. Donc, on a plus ou moins les mêmes valeurs que les géants de la Silicon Valley, tout va bien, mais ce ne sera pas toujours le cas, peut-être. Et ce n'est pas toujours le cas pour certaines personnes. Donc, là, il y a quelque chose déjà à réfléchir par rapport à ça. Et de manière générale, c'est-à-dire, ça ne va faire que nous aider à décider. Ce n'est qu'un amplificateur, finalement, de nos capacités, de nos goûts, de nos objectifs. Donc, voilà, je pense que ça, c'est vraiment le mythe nuisible. Et il est subtil. Ce n'est pas juste un truc tarte à la crème qu'on voit sur les réseaux sociaux pour vendre l'IA. C'est juste intuitif. On se dit que ça a une espèce d'intelligence dépassionnée et donc supérieure. C'est faux. »
Julien Redelsperger : « Quand tu parles à ton éditeur, quand tu parles à tes collègues romanciers, quand tu vas sur des salons du livre, quand tu échanges avec des personnes dans le monde de la littérature, de l'édition, qu'est-ce qu'ils te disent quand tu parles d'intelligence artificielle ? Est-ce que c'est un sujet, d'ailleurs, qui est important, dont on parle en ce moment dans ces milieux-là ? »
Bertrand Misonne : « Je dirais que c'est comme ailleurs. Alors après, il y a peut-être des milieux plus rétifs. Je vois ça, par exemple, chez les juristes, qui eux aussi sont très attentifs. Chaque mot compte, chaque formulation compte. Les juristes, je trouve, sont des grands critiques de l'IA, peut-être aussi avec une grande crainte qu'une grande partie de leur boulot peut être remplacée par l'IA. Parce qu'il y a ce mythe du grand remplacement, sans mauvais jeu de mots, qui tourne dans nos têtes. C'était votre première question, d'ailleurs, de dire voilà, est-ce que l'IA va remplacer l'écrivain ? Donc, il y a ceux qui se posent cette question-là et qui sont très énervés. Puis il y a ceux qui voient les opportunités. Je pense que, de nouveau, peu voient, et c'était bien d'aborder ce côté vraiment méta avec la question des 81 % d'Américains qui rêvent d'être écrivains et ce que ça fait sur le marché des livres. Je crois que peu ont la vue d'ensemble de comment cette technologie va être disruptive pour la littérature dans son ensemble.
Beaucoup de gens se disent, ça va changer ma manière, si c'est un éditeur, de promouvoir mes livres, si c'est un auteur, de produire mes livres. Et chez l'auteur, c'est comme partout. Il y a ceux qui sont complètement décomplexés, qui sont ravis, qui disent, c'est génial, je vais faire un roman tous les six ans, je vais en faire six par an. »
Julien Redelsperger : « Il y a toujours un côté un peu romantique à écrire un livre. On imagine l'écrivain dans un chalet au bord d'un lac, à la lueur de la chandelle, en train d'écrire toute la nuit. »
Bertrand Misonne : « Exactement. Mais là aussi, je m'y attaque dans le roman. La figure du grand écrivain est quelque chose de très anachronique, déjà avant l'IA générative. Et c'est assez marrant, mais c'est important. C'est un mythe qui appartient à notre société. Et c'est important. C'est ce qui fait que là-dessus, on a peut-être plus tendance à écouter certaines personnes estampillées "grands écrivains". Et s'il s'avère qu'ils ont des choses intéressantes à dire, tant mieux qu'on les écoute eux, plutôt qu'une tiktokeuse make-up. Donc voilà. »
Julien Redelsperger : « Est-ce que tu penses être capable, quand tu lis un livre, de savoir si ça a été écrit, tout ou partie, par l'intelligence artificielle générative ? »
Bertrand Misonne : « Je pense avoir développé un certain instinct pour les tournures de phrases spécifiques de l'IA. Je pense que beaucoup de gens qui sont rentrés dans l'IA générative assez tôt, d'ailleurs, ont un peu ce réflexe-là. Quand on voit un post, quand on voit, je ne sais pas moi, un folder publicitaire, quand on voit directement... Ah ! Allez ! T'aurais quand même un peu plus bossé que simplement prendre le truc de GPT ou de Claude. Donc voilà, je pense que ça se voit quand même. Maintenant, moi, ce que je pense vraiment, c'est qu'il faut retravailler, bien sûr. Ce serait idiot. Tout comme, il y a des exceptions, il y a des gens qui écrivent en une traite et c'est parfait. Il y a le fameux Sur la route de Kerouac qui a été écrit visiblement sur un rouleau de feuilles comme ça, d'un coup, et c'était parfait.
Mais je pense qu'à part ça, de toute façon, le texte, ça se retravaille toujours. Donc que ce soit le premier jet d'un écrivain ou que ce soit le gloubi-boulga un peu bluffant de ChatGPT, il faut le retravailler, de grâce. Donc mon message, ce n'est pas du tout... Oui, c'est génial, l'IA générative peut écrire des romans et c'est tant mieux. Mais je pense qu'il y a clairement des usages au service de l'auteur créatif qui sont très intéressants. Ça peut être beaucoup de choses. Par exemple, il y en a qui aiment bien utiliser plutôt l'IA générative d'image. Ils prennent pour dire ce qu'ils ont en tête, puis ils ont l'image devant eux et c'est plus facile pour écrire une description. C'est intéressant, c'est marrant. Dans le monde des mondes imaginaires ou des personnages, c'est assez intéressant. Moi, je ne fonctionne pas fort comme ça, mais c'est vrai que c'est une bonne idée. Je ne sais pas, on fait du fantasy et on veut un loup-garou barde au poil mauve, ça peut être sympa de l'avoir en face de soi quand on le décrit. Voilà. Donc ça, c'est un usage. Après, il y en a plein d'autres, notamment, ça peut être de sortir un petit paragraphe, une petite description ou un petit dialogue. Il y a toujours parmi les écrivains ceux qui aiment bien faire des descriptions, ceux qui aiment bien faire des dialogues, ceux qui n'aiment ni l'un ni l'autre. Et pour moi, ce n'est pas tricher. Parce que ce qui est important, de nouveau, pour faire un personnage cohérent et profond sur la longueur, en tout cas, aujourd'hui, l'IA ne sait pas le faire. Donc, on peut utiliser l'IA pour se faciliter certains aspects. Et pour ceux qui écriraient au scandale, de nouveau, ceux qui disent "Non, il faut écrire à la plume d'oie, à la lumière de la chandelle, au bord d'un lac", je répondrais que... Et Ken Follett, alors ? Ken Follett, il a eu l'honnêteté de dire "Voilà, moi, j'ai 30-40 collaborateurs, je ne vais quand même pas me taper tout le boulot d'écriture de mes romans. Moi, je suis maître d'œuvre." Tout comme le Caravage avait des assistants qui faisaient les détails chiants du tableau, ben voilà, il a des assistants qui font une partie de son truc. Donc là aussi, rien de nouveau sous le soleil. Ça s'est juste accéléré, digitalisé et démocratisé, surtout. Mais comme je dis, par rapport à démocratiser, il faut de toute façon des nouvelles manières. Il y a de toute façon, et il faut de toute façon des nouvelles manières de promouvoir, je vais dire, collectivement des romans qui sont plus, je ne sais pas comment dire, qui sont plus importants. Mais ça, ce n'est pas propre à l'IA, je pense. »
Julien Redelsperger : « D'accord. Est-ce que selon toi, la question est complexe, mais est-ce que l'intelligence artificielle est intelligente et surtout, est-ce que l'intelligence artificielle est créative ? Et comment est-ce qu'on travaille sa créativité avec des outils type ChatGPT, MidJourney et autres ? »
Bertrand Misonne : « C'est une super question qui me passionne parce que je trouve qu'étudier l'IA sous l'angle de la créativité, c'est apprendre beaucoup sur l'IA et sur la créativité. D'ailleurs, ça mériterait sans doute d'être le sujet de mon prochain livre, mais on verra. Mais en tout cas, ce que je peux dire, c'est que ça m'a déjà chatouillé au moment de la rédaction de Le nouveau Michel H., puisque en épigraphe, donc cette citation qu'on met au début d'un ouvrage pour mettre un peu le lecteur dans l'ambiance, j'avais choisi cette citation attribuée à Mark Twain qui dit : "Rien de nouveau sous le soleil, rien que des combinaisons d'idées existantes". Et donc, je trouve que là, on a déjà en tout cas une idée de la créativité en tant que remix qui pourrait donner un point à l'intelligence artificielle. Donc, est-ce que Mark Twain aurait trouvé ChatGPT créatif ? Sans doute, ça l'aurait amusé en tout cas de le prétendre.
Maintenant, il y a autre chose dans la créativité. Il y a ce qu'on reconnaît à la personne, à la forme d'intelligence, comme créativité. Et là, on peut s'enfoncer dans un débat sur qu'est-ce que l'art, qu'est-ce que l'art créatif. J'aime toujours bien citer là-dessus des œuvres d'art contemporaines célèbres qui, à mon sens, sont un peu parties en vrille, du style le fameux urinoir, c'était déjà il y a très longtemps, au siècle dernier, et puis maintenant la banane scotchée au mur. À partir du moment où il y a des clients ou des amateurs d'art pour estimer que c'est de l'art, ça devient de l'art. Pourquoi ? Parce qu'il y a une intention derrière. Et donc, à ce moment-là, quelque part, il y a une intention artistique. Je pense que c'est un choix de l'humain. En tout cas, aujourd'hui, avec les formes d'IA qu'on a, on ne peut pas dire qu'une IA peut avoir une pulsion artistique par elle-même. Ce sera peut-être le cas quand on aura vraiment des agents avec un grand degré d'autonomie qui décideront, qui ressentiront, entre guillemets, le besoin de faire de l'art. Mais donc là, on part sur toute autre chose.
En tout cas, aujourd'hui, elle est capable de produire de l'art. Si, par exemple, je ne sais pas, on peut imaginer que ChatGPT gagne un jour un concours de poèmes, ça a peut-être déjà été le cas, ça ferait un bon buzz sur les plateformes de veille technologique. Après, la créativité de l'IA dépend aussi de la manière dont on lui parle, ce qu'on appelle les prompts, en fait. Si on est capable de faire des prompts qui soient pertinents et que ChatGPT doit comprendre jusqu'où il peut aller, ça peut influencer également le rendu final. Voilà, c'est pour ça que moi, dans mon état d'esprit actuel avec la technologie telle qu'elle est aujourd'hui, j'ai envie de dire effectivement que la machine est capable de remixer des mots, des sons, des images de manière créative, originale, mais elle n'a pas l'impulsion, l'étincelle créative, tout simplement parce qu'elle n'est pas faite pour ça. »
Julien Redelsperger : « D'accord, alors peut-être une dernière question pour toi, Bertrand. Si on fait un peu d'histoire-fiction, j'aimerais bien avoir ton avis sur ce que dirait Voltaire, Flaubert ou Zola de ChatGPT aujourd'hui, s'ils arrivaient dans notre monde et découvraient à quel point c'est facile d'écrire. Qu'est-ce qu'ils te diraient ? »
Bertrand Misonne : « C'est très amusant. Alors, mon premier réflexe, c'est que c'est typiquement le genre de questions tordues que je serais capable de poser à une IA générative. Et comme j'ai dit tout à l'heure, avec leur capacité à se projeter parfois de manière un peu caricaturale dans l'univers mental d'une personne dont elle possède beaucoup d'écrits, ça pourrait être amusant à faire. Mais je ne l'ai pas fait, donc je vais faire l'exercice 100 % organique.
Bon, Voltaire, c'est quand même le poète et le philosophe des Lumières. Donc, je pense qu'il verrait déjà quelque chose que moi, j'aime bien dire aussi, c'est que c'est quand même une porte d'accès à une somme de connaissances absolument incroyable. Évidemment, l'Internet et les moteurs de recherche le font déjà, mais cet aspect conversationnel, cet aspect qui comprend mieux nos requêtes, c'est absolument fascinant. Et donc, on peut effectivement non seulement bénéficier de la connaissance, mais d'une mise en perspective qui est parfois amusante. Avec, effectivement, on peut avoir des débats en disant : est-ce que tel peintre mérite son succès ? Il va y avoir des réponses qui vont nous stimuler l'intellect. Donc, je pense que Voltaire serait sans doute sensible à ça. Mais non, de nouveau, c'est moi qui me projette dans l'univers mental de Voltaire comme un bon modèle de langage que je suis. Je dirais qu'il nous mettrait peut-être en garde contre le prêt-à-penser. À partir du moment où une machine est divinisée et qu'on croit tout ce qu'elle nous dit, je pense qu'il tirerait la sonnette d'alarme en disant attention, n'en faites pas le dieu qui dirige vos pensées. Ça, c'est pour Voltaire.
Flaubert, c'est le type qui a bien aimé mettre en scène les travers de la société dans laquelle il vivait. Donc, je pense que là, il s'en donnerait à cœur joie, sans doute, à se moquer de certains travers qu'on a par rapport à l'IA. Donc, effectivement, peut-être le côté, peut-être qu'il aurait des héros qui voudraient devenir riches sans rien faire grâce à l'IA. Ou alors, il parlerait peut-être d'une usine de saucisses qui se rend compte qu'elle ne pourrait pas survivre sans implémenter l'IA générative. Et donc, il y aurait un petit côté comme ça, fable au premier degré, c'est le truc.
Et alors, Zola, évidemment, les grands combats, c'est ça qui me vient tout de suite en tête, les grands combats sociaux. Alors là, je vois le prompt défiler, enfin la réponse de ChatGPT défiler devant moi si je l'avais tapé. Mais je pense qu'il dirait qu'il faut lutter pour mettre l'IA au service de l'humain. Et il attirerait l'attention, et il aurait tout à fait raison, merci, merci Émile, de dire que, attention, ces technologies sont dans les mains de quelques puissants dont le but dans la vie n'est pas spécialement de rendre heureux les masses laborieuses. »
Julien Redelsperger : « D'accord, parfait, intéressant. Mais écoute, merci beaucoup, Bertrand. Alors, à la fin de chaque épisode, l'invité du jour doit répondre à une question posée par l'invité précédent. En attendant d'écouter la tienne, je vais te laisser écouter celle de Laura Sibony, qui est, coïncidence du calendrier, également autrice, écrivaine, mais elle est aussi conférencière, formatrice et enseignante. On écoute sa question. »
Laura Sibony (audio) : « Quel est votre auteur favori et pourquoi ? C'est une question qui est toujours très révélatrice. »
Bertrand Misonne : « Oui, alors je me méfie parce que je sens que c'est une question révélatrice. Donc, je suis testé, mais je vais être moi-même. Ce n'est pas grave. Dans les auteurs contemporains, je dirais Aurélien Bélanger, qui est l'auteur notamment de La théorie de l'information, et qui est un auteur de romans justement un peu à la Flaubert, qui parle de notre époque à travers des personnages inspirés de réels, mais avec des twists un petit peu extravagants et drôles à la fin. Donc, je pense que je vais tout simplement citer Aurélien Bélanger, parce que c'est ce que je disais en tout début d'épisode. Moi, j'aime bien la littérature qui donne du sens, qui nous raconte des histoires qui sont à la fois divertissantes et édifiantes, qui nous permettent de comprendre le monde dans lequel on vit. »
Julien Redelsperger : « D'accord, parfait, très bien. Alors à toi à présent, quelle question est-ce que tu aimerais poser au prochain invité ? »
Bertrand Misonne : « C'est une question qui peut paraître un peu sombre ou négative, en tout cas une forme de mise en garde, mais qui se veut surtout prospective et constructive. Et donc, c'est à propos du moment où ça va partir vraiment en vrille avec l'IA. Donc, à quel moment est-ce qu'on va se rendre compte qu'on est allé trop loin ? Et donc, comment décririez-vous la situation dans laquelle l'humanité se trouvera au moment où elle dira "Ah oui, là, on est quand même allé trop loin avec l'IA". »
Julien Redelsperger : « Parfait, très bien. Écoute, j'apprécie la créativité et la recherche dans la question. Merci beaucoup de ta participation, Bertrand Misonne. Je rappelle que tu es chercheur en intelligence artificielle et écrivain. Merci d'avoir participé à ce podcast. »
Cette transcription a été réalisée par un outil d'intelligence artificielle. Elle n'est peut-être pas 100% fidèle au contenu d'origine et peut contenir des erreurs et approximations.